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09 avr. 2014 - 20:50
Lausanne change notre regard sur l’art
Le Rolex Learning Center est certainement le bâtiment le plus étonnant du moment. La collection d’art brut fait l’effet d’une gifle. Emotions fortes et découvertes surprenantes. Ici, l’art chamboule nos sens. Osez cette destination confidentielle et inattendue.
Posée en amphithéâtre au bord du lac Léman, la quatrième ville suisse pourrait paraître bien sage et conformiste au premier abord. Impression trompeuse. Depuis plusieurs décennies, elle se singularise en abritant la collection de référence d'art brut. En poussant la porte de ce musée, on ne se doute pas des émotions qui nous attendent.
En 2010, le Rolex Learning Center, étrange ovni, s’est posé sur le campus universitaire. Sa visite relève de l’expérience sensorielle. Le bâtiment ouvre de nouvelles perspectives à l’architecture.
Il n’y a donc plus d’excuses pour ne pas mettre Lausanne sur la carte de ses week-ends.
Le Rolex Learning Center
Prenez un rectangle égal à deux terrains de football. Posez-y deux tranches de béton trouées comme le fromage de gruyère local. Faites onduler le tout et vous obtenez l’un des bâtiments les plus singuliers jamais construits. Aucun mur. Des baies vitrées sur l’ensemble du pourtour et à l’intérieur, plus que des espaces, une géographie.
A l’entrée, le plan est illisible. On peine à s’orienter mais qu’importe. Ce bâtiment hors norme, imaginé par le studio japonais Sanaa, invite à découvrir son paysage sans itinéraire imposé. On chemine entre vallées et collines. On grimpe des pentes assez raides pour en dévaler d’autres ensuite… Comme dans les montagnes environnantes, des petits sentiers zigzaguent pour faciliter l’accès aux points culminants.
Les rétrécissements, les différents niveaux et des surfaces vides définissent les espaces et les isolent chacun des bruits des autres. C'est une succession d’endroits, comme dans la nature. Etranges sensations. Jamais, on n’a évolué ainsi dans un bâtiment. Il y règne un sentiment de liberté inédit et une atmosphère particulière.
Ce territoire est animé par les centaines d’étudiants qui le fréquentent chaque jour. Le Rolex Learning Center dépend de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et fait partie du campus. Il est ouvert de 7 heures du matin à minuit. C’est un carrefour d’échange et d’apprentissage avec bibliothèque, cafés, espaces sociaux et lieux d’études. Mais ici encore, rien ne ressemble à ce qui passe sur d’autres campus tant cette construction inédite impose son ton.
Pour discuter, se reposer ou travailler, les étudiants ont le choix entre des tables regroupées, des fauteuils ou des centaines de poufs multicolores à déplacer à sa guise. Il y a quelque chose d’informel dans ce décor gris et blanc, neutre, où seuls les poufs attirent l’œil. Un sentiment d’intimité s’impose aussi.
Le mariage de la vie estudiantine (très décontractée) et de l’originalité du lieu propose partout des tableaux inédits. Le silence qui y règne ajoute à l’impression d’être dans un vaisseau spatial du futur. La pureté des formes et les jeux d’ombres et de lumières saisissent aussi le regard (parcourez le Rolex Learning Center en 3'30'').
Passé la surprise esthétique, sensitive et déconcertante, mille questions surgissent sur les principes de construction. Ce ne sont pas les minces piliers, quasiment invisibles, qui permettent à la structure de tenir ? Comment le béton, ainsi ourlé, sans soutien, avec des arcs surbaissés de large portée, tient-il ? Les complexes recherches de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, les deux créateurs géniaux du studio Sanaa, ont permis ce résultat unique au monde. Regardez ce film pour comprendre comment ils s’y sont pris. C’est un tour de force.
Avec le Rolex Learning Center, Sanaa a repoussé les limites et les concepts de l’architecture. Cette audace a d’ailleurs permis aux deux artistes de recevoir le prix Pritzker (la plus haute distinction en architecture) pour l’ensemble de leur œuvre (New museum of contemporary art de New-York, immeuble Christian Dior de Tokyo, glass pavilion du musée de Tolède, Louvre-Lens…).
Pour découvrir le Learning Rolex Center, il suffit de prendre le métro du centre de Lausanne. Ce bâtiment anti-monumental et pourtant si impressionnant est ouvert à tous gratuitement, tous les jours sauf le 25 décembre et le 1er août (fête nationale suisse). On s’y promène librement. Des visites guidées sont organisées plusieurs fois par semaine (voir ici).
La collection de l’art brut
Qui pourrait imaginer en arrivant devant la modeste entrée de la Collection de l’art brut, sur les hauteurs de Lausanne, dans un quartier banal, que le bâtiment cache une bombe émotionnelle ? Ici aussi, la visite désarçonne.
L’art brut est longtemps resté confidentiel. C’est Jean Dubuffet qui a donné ce nom aux œuvres réalisées par des créateurs autodidactes, souvent retranchés dans leur propre monde et en dehors de toute norme artistique. De nombreux auteurs d’art brut ont passé une bonne partie de leur vie internés dans des hôpitaux psychiatriques ou isolés du monde, vivant de façon marginale et insolite.
Les réalisations (peintes, dessinées, sculptées, brodées) reflètent un univers mental souvent obsessionnel et tourmenté. Les créateurs d’art brut ne conçoivent pas leurs œuvres pour un public mais pour eux-même. Ils travaillent loin de tout regard extérieur. On sent, à chaque fois, une nécessité impérieuse de s’exprimer. Plus que jamais, on peut parler ici de parole et de cri. L’horreur du vide est une constante chez ces créateurs. Mais l’art brut ne peut être réduit à la simple expression péjorative d’ «art des fous ».
Il renvoie à une liberté totale d’expression. Et quelle claque !
Chaque œuvre est une plongée dans un univers. S’il n’est pas angoissant, il est en tout cas énigmatique, onirique, touchant à tous les coups. L’atmosphère distillée par chaque auteur touche vite au cœur. En lisant les cartels associés (ou mieux, en suivant une visite guidée), on en apprend plus sur chaque personne. Les vies torturées, les profondes blessures intimes, les parcours d’isolement et de souffrance décuplent la force d’œuvres déjà intenses sans éclairage et mise en perspective. Entre les explications du guide et les œuvres exposées, on a l’impression d’être attiré dans l’abîme de chaque créateur. C’est intense.
Entrez dans la vie et les œuvres d’Henry Darger, Aloïse, Augustin Lesage, André Robillard, August Walla ou Pascal-Désir Mainsonneuve par exemples. Et que dire de la robe de mariée de Marguerite Sir ?
La visite de la Collection de l’art brut vous suit encore quelques heures après avoir quitté les lieux.
Le noyau de la collection conservée à Lausanne vient du fond privé de Jean Dubuffet. Dans les années soixante, l’artiste propose d’abord les œuvres qu’il a réuni à l’Etat français qui les refuse. Ayant, à l’origine, prospecté cet art singulier en Suisse dès 1945, Dubuffet choisi finalement de léguer ses 5000 œuvres à la ville de Lausanne. La collection est présentée au public dès 1976.
Aujourd’hui le fond de la Collection de l’art brut contient 60 000 œuvres de 1 000 auteurs différents. L’institution de Lausanne fait référence dans le monde entier.
L’art brut connaît depuis quelques temps une véritable vogue. Le marché de l’art s’est emparé de ces œuvres pourtant imaginées à l’opposé du mercantilisme et de la spéculation. Des musées s’ouvrent un peu partout (avec des contenus parfois douteux).
Mais rien ne vaut un passage par la source, à Lausanne. Non seulement parce que c’est la plus ancienne institution mais aussi parce qu’elle reste fidèle à l’esprit de l’art brut.
Et en plus…
Lausanne possède un joli centre ancien serré autour de la cathédrale gothique restaurée par Viollet-le-Duc.
Le musée de l’Elysée, installé dans une belle maison de maître du XVIIIème siècle, est connu internationalement des amateurs de photographie.
La fondation de l’Hermitage est aussi réputée pour ses expositions temporaires.
Lausanne est le siège du Comité International Olympique (CIO), normal donc d’y trouver un musée olympique, récemment restauré et réaménagé.
Le lac Léman est un autre atout séduisant. Les quais d’Ouchy rappellent les splendeurs de la Riviera vaudoise avec ses vieux palaces et le point de vue sur les Alpes et le Mont-Blanc. La promenade de Vidy est une zone verte plus décontractée offrant pelouses et plages à la belle saison.
Pour faire un tour sur le lac, les vieux bateaux au profil si particulier de la Compagnie Générale de Navigation s’imposent.
Noctambules et clubbers apprécieront aussi les nuits lausannoises, animées par les nombreux étudiants de la ville.
Les amateurs de théâtre doivent regarder la programmation du théâtre Vidy, un lieu de création contemporaine qui fait autorité en Europe.
Aux portes de la ville, les vignobles de Lavaux, posés en terrasse au dessus du lac, sont classés « patrimoine mondial » par l’Unesco. Paysage imposant et belles dégustations.
Informations pratiques
Pour préparer un séjour à Lausanne, regardez le site de l’Office du Tourisme. Pour une découverte plus large du Canton de Vaux, regardez ici.
Un séjour en Suisse ne coûte pas plus cher que dans les autres destinations ouest-européennes. Il existe des hébergements confortables et de bons restaurants tout à fait abordables.
Informations complètes sur les deux oeuvres de la Collection de l'art brut publiées sur cette page :
Napoléon III à Cherbourg
Aloïse
Entre 1952 et 1954
Crayon de couleur sur feuilles de papier cousues ensemble
164 x 117 cm
Photo : Claude Bornand
Götter
August Walla
1986
Peinture accrylique sur toile
260 x 532 cm
Photo :Pfeifer H.&A.
Photos : Ludovic Dunod, EPFL-Alain Herzog, Collection de l'art Brut, Lausanne Tourisme, Urs Achermann, B.H Bissat, Régis Colombo, www.diapo.ch
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1 Comments
Bonjour,
Petite nuance en forme de clin d'oeil, le Gruyère suisse n'a pas de trou, juste des fentes, c'est l'Emmental qui a des trous comme le Rolex Learning Center.
Mais merci pour ce bel article qui vante les mérites de "ma" ville !
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