31 oct. 2011 - 13:30
Boris Vian est définitivement un Parisien. Souffrant de graves problèmes cardiaques dès l’âge de 12 ans, il a peu quitté Paris même s’il était très attiré par les Etats-Unis par exemple.
Né en 1920 à Ville d’Avray, aux portes de la capitale, il a vécu rive droite et festoyé rive gauche. En allant de lieux en lieux, à travers les rues de Paris et de sa banlieue, retrouvons cette icône des années 50, personnage irrégulier et libre qui secoua avec humour, rage de vivre et provocation les conservatrices années d’après-guerre.
Les adresses sont aussi variées que la vie créative de Vian : romans, nouvelles, poésie, théâtre, opéra, cabaret, chanson, musique, direction artistique, articles de jazz, traductions, calembours, pataphysique... Il meurt subitement en juin 1959 à 39 ans.
Symbole du bouillonnement qui agita Paris après la Libération, cette légende des années 50 laisse une œuvre d’une éternelle jeunesse (comme lui).
Ecoutez les deux émissions que nous lui avons consacré :
Boris Vian à Paris, 1ère partie (Saint-Germain-des-Prés et Ville d’Avray) :
Boris Vian à Paris, 2ème partie (Rive droite à Pigalle) :
Boris Vian naît au 41, avenue de Versailles à Ville d’Avray le 10 mars 1920. Mais c’est au 33 rue Pradier qu’il passe toute son enfance et son adolescence. L’élégante villa des Fauvettes est achetée par Paul Vian, son père, au début des années 20.
Une insuffisance cardiaque lui inflige de sérieux problèmes de santé dès 12 ans. Ces soucis n’empêchent pas le petit Boris, entouré de sa fratrie, de goûter ici une enfance insouciante et choyée, rythmée par la musique lyrique, les parties d’échecs et les jeux littéraires pratiqués en famille et entre voisins. Jean Rostand, fils du dramaturge Edmond Rostand, habite à côté. Ce sera un aîné modèle, un ami précieux et un compagnon de jeux.
Pendant la crise de 1929, le père Vian, ruiné, est obligé de louer la belle résidence principale. Il replie sa famille dans la maison « du gardien », à côté, beaucoup plus rudimentaire. C’est la famille Menuhin qui emménage dans la demeure principale. Boris Vian aura donc pour autre compagnon de jeux le petit Yéhudi, déjà enfant prodige du violon.
La propriété possède un troisième bâtiment. C’est une salle de jeux ou d’activités. Boris et ses frères y organisent des surprises parties endiablées et y montent des pièces de théâtre. Ils y répètent également les morceaux de jazz qu’ils iront joués en public.
Le cadre idyllique de la propriété des Fauvettes, située en contrebas du parc de Saint-Cloud, dans un environnement d’artistes et d’intellectuels, achève de façonner la personnalité d’un enfant déjà très doué intellectuellement et manuellement. Ce cadre préservé sert aussi d’écrin à sa curiosité sans limites.
Les propriétaires actuels ouvrent à certaines occasions la villa des Fauvettes (notamment pendant les Journées Européennes du Patrimoine en septembre). Après la visite, prolongez la promenade dans le grand parc de Saint-Cloud situé plus haut.
En contrebas de la rue Pradier, à Sèvres (les deux villes se touchent) dans l’avenue qui porte son nom, Léon Gambetta, célèbre figure politique française du XIXe siècle occupa une ancienne maison de vignerons autrefois habité par Honoré de Balzac : La maison des Jardies (ouverte à la visite).
Après la Libération, ce ne sont pas les existentialistes qui attirent Boris Vian à Saint-Germain-des-Prés mais le jazz. A l’époque, les rues autour du Café de Flore, des Deux Magots et de la Brasserie Lipp vibrent au son du be-bop, en sous-sol surtout, dans les fameuses caves où la jeunesse d’après-guerre se retrouve pour danser et s’amuser.
A « Saint-Germain-des-Pieds », comme Boris Vian aime à désigner le quartier, les fêtes sont légion et Vian en est un des plus fervents animateurs. En particulier au Club « Le Tabou ».
Selon la légende, l’endroit, situé 33 rue Dauphine, a été découvert par Juliette Gréco : Un soir où elle se serait réfugiée dans ce bistrot tenu par deux Toulousains et en faisant tomber son manteau, elle aperçut une cave en sous-sol…
On peut encore voir la porte qui ornait le fond de la cave du Tabou dans la Librairie-François Roulmann (12, rue Beautreillis, dans le Marais).
Ayant soif de liberté et d'amusement après les années de plomb, les jeunes envahissent l’endroit et le jazz rythme cette période effervescente. Boris Vian est une des icônes du Tabou. Il y passe ses nuits à jouer de la trompette (avec ses frères notamment) et à imaginer des soirées hautes en couleurs et quelque fois provocatrices pour l’époque. On le surnomme même « le prince de Saint-Germain-des-prés ».
Devenu un mythe, le Tabou n’a pourtant eu qu’une existence éphémère en 1947 et 1948. L’adresse est désormais occupée par l’Hôtel d’Aubusson, un établissement de luxe où des écrivains américains comme Paul Auster ont leurs habitudes. La cave est fermée mais le Café Laurent, au rez-de-chaussée, programme toujours du jazz du jeudi au samedi de 21h à minuit. On peut y écouter de bons musiciens (swing, standards et jazz moderne) pour le prix d’une simple consommation.
Aujourd’hui, on peut s’amuser à parcourir ce coin de la rive gauche muni du « Manuel de Saint-Germain-des-Prés » rédigé par Boris Vian dans les années 50. Il y a décrit, non sans humour, la faune et les établissements notoires du quartier. C’est une manière insolite de retrouver le parfum si singulier qui lui vaut sa renommée internationale.
Le manuel passe par le Club Saint-Germain, situé au 13 rue Saint-Benoît. Fondé par un ancien du Tabou en 1948, cette adresse chic et jet-set a accueilli les plus grands jazz-men sous la houlette de Boris Vian toujours. Dans la rue Saint-Benoît, de nos jours, plus rien n’indique ce fameux passé et les hôtels et spas en tout genre ont remplacé les bistrots populaires de l’après-guerre.
Ce n’est pas parce qu’il s’épuise la nuit dans les caves de Saint-Germain-des-Prés que Boris Vian passe ses journées à dormir. Le travail l’appelle tôt le matin comme ingénieur, d’abord à l’AFNOR (Association Française de Normalisation) de 1942 à 1946 puis pendant un an à l’Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton.
C’est sur son lieu de travail qu’il va écrire une partie de ses romans. Car il a l’écriture chevillée au corps au même titre que la musique.
Son univers professionnel va même être une source d’inspiration importante, notamment dans « Vercoquin et le Plancton », écrit entre 1943 et 1945 et publié en 1947. Il y caricature allègrement son employeur sous les traits du CNU, Consortium National de l’Unification et rédige même une norme des injures inspirée des modèles en usage à l’AFNOR.
A l’Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton il écrit « l’Ecume des Jours »… sur des papiers ciglés Afnor ( !) comme en témoigne le manuscrit originel de son plus grand chef-d’œuvre.
A la faveur du retentissant succès de « J’irai cracher sur vos tombes », qu’il a signé Vernon Sullivan, Boris Vian peut enfin mettre un terme à sa carrière d’ingénieur pour se consacrer pleinement à son métier d’écrivain. Mais il n’obtiendra jamais de son vivant la reconnaissance qu’il attend de la part du milieu littéraire et du public. Il continue pourtant, sans répit à noircir des pages sous d’autres formes : nouvelles, poésie, pièces de théâtres, sketches de cabaret, scénarii, chansons, articles sur le jazz, livret d’opéra ou de comédie musicale…
Ses romans connaîtront du succès après sa mort et il reste un des auteurs les plus vendus aujourd’hui encore.
Ursula, la seconde épouse de Boris Vian, trouve en 1953 un nid secret, caché loin du tumulte de la ville, au fond de la pittoresque Cité Véron à Pigalle. Ouvrant sur une vaste terrasse, cet appartement orienté plein Sud donne sur le célèbre Moulin Rouge.
Quel site ! Un trésor parisien encore très peu connu.
Nicole Bertolt, qui gère l’appartement pour les héritiers de Boris Vian, nous reçoit sur la terrasse :
A l’intérieur, cet appartement n’a pratiquement pas bougé depuis le décès de Vian. Ces meubles et sa décoration sont encore visibles. Ses livres, ses disques, les petits bibelots amusants occupent toujours les étagères.
La guitare sur laquelle il composa une partie de la musique du déserteur est accrochée au mur comme ailleurs des souvenirs du collège de pataphysique, des toiles peintes de sa main, des collages offerts par Jacques Prévert ou son portrait par Félix Labisse. Il a lui-même construit certains aménagements fonctionnalistes (lit, chaise, bureau, porte coulissante …) qui rappellent les idées de Le Corbusier.
La petite pièce qui abritait son atelier (Boris Vian était ingénieur et aimait la mécanique) a, elle aussi, traversé les décennies.
Tout ici respire toujours l’ambiance bohème et colorée des années 50.
En écrivant et en motivant sa demande, il est possible, comme nous l’avons fait, de visiter cet appartement. Adressez votre courrier à Cohérie Boris Vian, 6bis cité Véron, 75018 Paris.
En quittant l'appartement, vous pouvez vous rendre au 8, Boulevard de Clichy. C'est ici, toujours à Pigalle, que Boris Vian, alors voisin du compositeur Darius Milhaud, a vécu dans une chambrette de bonne au début des années 50. Avant de rejoindre son refuge de la Cité Véron.
Janvier 1955 : Poussé par Jacques Canetti, célèbre producteur, Boris Vian monte sur la scène du théâtre des Trois Baudets pour interpréter lui-même ses chansons. Il doit violer sa timidité naturelle pour affronter le public. Raide et austère, il désarçonne les spectateurs. Situé au 56 boulevard de Clichy, à Pigalle, à deux pas du domicile de Vian, le théâtre des Trois Baudets va voir passer tous les grands noms de la chanson française lancés dans les années 50 (Brel, Brassens, Gréco, Félix Leclerc, Bobby Lapointe, etc).
Le théâtre des Trois Baudets a rouvert sous les auspices de la Mairie de Paris en 2009 et continue à promouvoir les jeunes talents de la chanson.
En parallèle de ses apparitions sur la scène de Pigalle, Boris Vian va aussi chanter rive gauche, au cabaret « La fontaine des quatre saisons » (61, rue de grenelle – VIIème arrondissement). La salle est dirigée par Pierre Prévert, le frère de Jacques. Barbara, Guy Bedos et Maurice Béjart s’y sont aussi produit à leurs débuts. « La Fontaine des quatre saisons » doit son nom à la fameuse et monumentale fontaine qui se trouve juste à côté, sculptée par Edme Bouchardon au XVIIIème siècle. Une partie du musée Maillol –collection Dina Vierny occupe aujourd’hui les locaux de l’ancien cabaret.
Boris Vian n’a jamais considéré la chanson comme un art mineur. Il se met à écrire et composer surtout dans les années 50. Il a signé plus de 500 chansons dont une centaine d’adaptations (Kurt Weill notamment). Il n’en a enregistré lui-même qu’une quinzaine. Les autres textes ont été défendus par de nombreux artistes dont certains qu’il produisait comme directeur artistique chez Fontana.
Si nous lui devons des textes corrosifs ou censurés à l’époque (comme « le déserteur » ou « Fais-moi mal Johnny »), son goût pour l’humour, les paris et la dérision lui a fait commettre de belles pochades et parodies comme les premières chansons rock interprétées par son ami Henry Salvador (à l’époque Henry Cording ;-)
On dit que « le Collège de Pataphysique est un bâtiment dont le centre est partout et les murs nulle part »… Impossible donc de déterminer un lieu exact où cette science des solutions imaginaires serait enseignée ou partagée. Boris Vian y fut un grand satrape. Aimant jouer avec le langage dès son enfance, la pataphysique prend de plus en plus de place dans sa vie au fil des années 50. Mais au juste, c’est quoi la pataphysique ?
Réponse donnée par l’intéressé (Archives INA) :
Autre définition, par Alain Zalmansky, un pataphysicien adepte de l’Oulipo, ouvroir de littérature potentielle, une des émanations littéraires de cette drôle de discipline :
L’Oulipo se réunit encore tous les mois pour « les Jeudis de l’Oulipo » à la Bibliothèque Nationale de France. Se renseigner ici.
A Paris, deux librairies de la rive gauche sont particulièrement versées dans la pataphysique :
- La Hune, située au 170 boulevard Saint-Germain dans le VIe arrondissement (à deux pas du Café de Flore)
- Chez Tschann, au 125 boulevard du Montparnasse dans le VIe arrondissement.
« Le Polidor » est un café mais aussi une institution fondée en 1845. Situé au 41 de la rue Monsieur Le Prince (M° Odéon), il fut dans les années 50, le lieu privilégié des banquets pataphysiques avec Max Ernst, Boris Vian ou René Clair…
En 1959, Boris Vian se consacre surtout à ses activités de producteur de jazz et de chanson pour le label Fontana chez Philips. Depuis deux ans et son dernier œdème pulmonaire, il doit se ménager et fréquente surtout le milieu du spectacle.
Le 23 juin, il assiste au Petit-Marbeuf (32-34 rue Marbeuf, près des Champs Elysées) à une avant-première privée de l’adaptation cinématographique de « J’irai cracher sur vos tombes ». Il n’a pas vraiment envie de voir ce film qu’il juge indigne de son œuvre. Il a d’ailleurs demandé à être retiré du générique. Une dizaine de minutes après le début de la projection, il est victime d’un ultime œdème.
C’est à l’hôpital Laennec, où il a été transporté, qu’il meurt à midi.
Boris Vian repose en toute discrétion au cimetière de Ville d’Avray. Aucune plaque n’indique son identité et seuls quelques messages ou dessins laissés par des admirateurs permettent de reconnaitre la dernière demeure d’un des plus grands écrivains du XXe siècle.
-Boris Vian, Exposition à la BNF (Bibliothèque Nationale de France », Site François Mitterrand, jusqu’au 15 janvier 2012 (M° Bibliothèque François Mitterrand, ligne 14 ou Quai de la gare, ligne 6).
-Parcourez le site officiel dédié à Boris Vian et voulu par ses héritiers. Dynamique, ludique et inventif, il colle bien à l’image de ce créateur aux multiples facettes.
De Boris Vian :
-L’écume des jours, L’arrache-coeur, L’herbe rouge et J’irai cracher sur vos tombes sont disponibles au Livre de Poche.
-Gallimard, dans sa célèbre et réputée collection La Pléiade à publié en 2010 ses Œuvres romanesques complètes I et II. Pour son entrée dans le Panthéon de l’édition française, La Pléiade rassemble à la fois romans, nouvelles, scénarii articles et chroniques. Une consécration tardive sur papier bible pour celui qui a toujours bousculé les institutions et le monde des lettres.
Biographies et albums :
-Boris Vian par Claire Julliard. Editions Folio Biographies.
-Boris Vian, le swing et le verbe par Nicole Bertolt, Francois Roulmann et Marc Lapprand. Editions Textuel.
-Catalogue de l’exposition Boris Vian à la Bibliothèque Nationale de France. Coédition Bibliothèque Nationale de France / Gallimard.
-Boris Vian – « Si j'étais pohéteû » par Marc Lapprand et François Roulmann. Editions Découvertes Gallimard
A écouter :
-Boris Vian. 100 chansons. Jacques Canetti Productions.(Coffret collector comprenant aussi chansons et vidéos inédites). Disponible uniquement sur le site jacques-canetti.com ou à la FNAC.
-Boris Vian et ses interprètes. 2 CD. Polygram Distribution (l’indispensable).
-Boris Vian, Inédits radio (jazz et chanson). INA.
-Boris Vian, les années jazz. Puzzle Production (pour l’écouter à la trompette).
-Boris Vian, « on n’est pas la pour se faire engueuler ». 2CD de reprises, interprétées entre autre par Maurane, Arielle Dombasle, Olivia Ruiz, Katerine, Edouard Baer, Kent, Carla Bruni, Jean-Louis Trintignant, Michel Delpech, Lambert Wilson, Juliette, Carole Bouquet, M., etc. AZ-Universal Music.
-Magali Noel, regard sur Vian. 2 CD (chansons et archives). Disques Dreyfus.
-Henri Salvador et les Garçons. Jacques Canetti Productions (pour découvrir les premiers rock français –parodiques- signés B. Vian et Michel Legrand).
-Coffret livres-audio (CD MP3) : L’écume des jours lu par Arhtur H, Et on tuera tous les affreux lu par Denis Podalydès et des nouvelles lues par François Marthouret et Thibault de Montalambert – Editions Audiolib (la littérature de Boris Vian, rythmée et vivante, s’écoute à merveille !).
Page réalisée avec Céline Develay-Mazurelle
Photos : Céline Develay-Mazurelle, Cohérie Boris Vian, AFP, Fatras / succession Jacques Prévert, BnF.
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