Voyager est un art pluriel. Chacun le conçoit avec ses propres images, ses propres rêves, ses propres attentes. Il y a un monde entre un « voyage organisé » et une longue pérégrination solitaire. Un monde qu’on tente de réunir en proposant à nos auditeurs, lecteurs et internautes de partir avec nous sur des chemins de cultures, de découvertes, de rencontres... Sans à priori, curieux et avides de partage pour mieux connaître la planète. On trouve ici nos émissions, des bonus, nos humeurs, des photos, des films... un simple rendez-vous des voyageurs! NOUS ECRIRE
Abitibi, le Far-West québécois
Au milieu des lacs et des forêts, l’Abitibi a vu déferler la ruée vers l’or québécoise au début du XXème siècle. Cette terre de pionniers est aussi celle des Amérindiens Algonquins. Si les mines font encore partie du décor, la nature imposante et sauvage s’y révèle spectaculaire. Un voyage à travers cette terre encore peu connue permet aussi de rencontrer les Abitibiens : des gens chaleureux et fiers de leur mémoire.
L’Abitibi est une des régions encore trop peu connue du Québec. Et pourtant, ses paysages comme son histoire méritent un voyage. En algonquin, Abitibi veut dire « là où se séparent les eaux ». Celles de la région partent vers le Nord boréal et la Baie James.
La nature ici donne toujours le ton et cette inclinaison lui a longtemps fait tourner le dos aux régions très habitées du bassin du Saint-Laurent. Son peuplement (hormis les Amérindiens) est très récent. Il a l’allure d’une « conquête de l’Ouest » à la québécoise. Aujourd’hui, au fil des années et des vicissitudes, l’Abitibi s’est forgée une identité bien à elle.
Elle est défendue par ses habitants, accueillants, soucieux de partager l’héritage des pionniers. On part en voyage dans une terre des possibles, un Far-West local en somme.
Ecoutez (ou téléchargez) la première émission réalisée sur la région (histoire du peuplement) :
Ecoutez (ou téléchargez) la seconde émission axée sur la nature, les Amérindiens et la vie loin de tout :
→ Au milieu des lacs et des forêts
→ La terre ancestrale des Algonquins
→ ...qui mènent une vie à part
→ Des ressources naturelles précieuses et convoitées
Au milieu des lacs et des forêts
Au cœur du vert… et du bleu. L’Abitibi vit sous ces deux couleurs (avec le blanc en plus pendant les hivers secs et rigoureux). Ici, la nature, sauvage et préservée, se partage entre lacs et forêts profondes.
Au fil de plateaux légèrement vallonnés, c'est un terrain idéal pour la chasse, la pêche, la randonnée ou le camping.
Ces grands espaces demeurent très accessibles. On peut jouer aux coureurs des bois ou à l’apprenti-géologue à peine à un quart d’heure de voiture des villes.
Dans cette nature à l’état brut, servant de transition entre le grand Nord et des contrées malgré tout plus clémentes, les bouleaux et les pins dominent le paysage.
Pour le spectacle, direction le Parc National d’Aiguebelle. Il raconte à lui seul la formation géologique et l’ancienne activité volcanique de la région. Sur sa roche vieille de 2,7 milliards d'années, on peut lire le passage des glaciers, les coulées de lave ou de roche et observer des phénomènes géologiques dont les noms parlent d’eux-mêmes : marmites de géants, coussins volcaniques…
Une balade en canoë le long des rivières ou à travers les lacs de failles permet de ressentir la force et la majesté de cette nature implacable. En haut du Mont Dominant, (le sommet le plus élevé de l’Abitibi qui culmine à 570 mètres ;-), on profite de points de vue spectaculaires.
Les randonnées peuvent être l’occasion de surprendre une des nombreuses espèces fauniques (orignal, castor, vison, héron…).
Suivons Agathe, une des guides du parc :
Autre grande attraction du Parc National : le pont suspendu construit bénévolement par la réserve de l'Armée canadienne. Long de 64 mètres, il paraît bien frêle, suspendu à 22 mètres au-dessus du lac La Haie.
Pour ceux qui n’auraient pas eu la chance d’apercevoir en pleine nature les animaux phares de l’Amérique du Nord, il existe un domaine situé près d’Amos, qui depuis 1987 a su mettre en valeur la diversité faunique abitibienne. Ce n’est pas un zoo mais un refuge.
Cet endroit vraiment à part porte la marque de son fondateur, Michel Pageau, un ancien trappeur qui à force d’observer et vivre les méfaits de l’homme sur la nature, décide de monter un refuge pour les animaux blessés.
Dans ce centre de soins et d’accueil, chaque animal (ours, orignal, linx, loup, aigle, raton laveur, etc) a son histoire et son petit nom. Et même s’ils semblent adoptés par la famille Pageau, les animaux sont systématiquement remis en liberté s’ils le peuvent (regardez la vidéo sur le refuge Pageau).
La terre ancestrale des Algonquins
Les plus vieilles traces de présence humaine en Abitibi remontent à 8 000 ans. Depuis des centaines d’années, c’est la terre des Algonquins (ou Anishnabe). Avec les Cris dans le Nord, ils ont longtemps été les seuls habitants de la région.
La meilleure manière de découvrir l’histoire et la culture algonquines en Abitibi est d’aller à la communauté de Pikogan, à Amos, au bord de la rivière Harricana (l’une des plus longues du Québec).
Dans cette communauté des Abitibiwinni, on peut voir une drôle de petite église en forme de tipi longtemps dirigée par les missionnaires Oblats. Elle raconte à elle seule l’œuvre d’évangélisation menée auprès des Amérindiens.
En contrebas, un centre d’interprétation explique la présence millénaire et le mode de vie ancestral des membres des Premières Nations. Il montre aussi les premiers contacts entre les colons et les autochtones autour du fort de traite du lac Abitibi.
L’exposition évoque également l’époque plus récente et douloureuse des pensionnats ouverts au milieu du XXe siècle. Les jeunes amérindiens y étaient envoyés de force et n’avaient plus le droit de parler leur langue. Ils subissaient aussi brimades, déracinement et parfois sévices.
A travers les panneaux explicatifs et surtout en discutant avec les Abitibiwinni qui nous accueillent, on saisit à quel point il est difficile encore aujourd’hui pour cette communauté algonquine de dépasser les blessures mémorielles pour mieux témoigner et transmettre leur culture.
On a souvent décrit les Algonquins comme « le peuple invisible », un peuple parmi les plus pauvres des populations autochtones au Québec. Il faut dire, que contrairement aux Cris dans le Nord, les Algonquins n’ont pas signé d’entente lucrative basée sur la redistribution d’une partie des dividendes générés par l’exploitation des ressources naturelles de leur terre.
Cette injustice est palpable à Pikogan.
Ne cherchez pas ici une expérience autochtone exotique un peu factice. Le visiteur se retrouve confronté à la réalité, parfois difficile, des Amérindiens de la région. Cela peut être un peu déstabilisant mais tellement plus enrichissant.
La communauté de Pikogan veut transmettre par le tourisme le rapport intime, presque viscéral, qu’elle entretient avec la nature : balade en canoë sur la rivière Harricana, contes algonquins, nuit sous un tipi, etc.
La visite passe, entre autre, par l'église de Pikogan, construite dans les années 60 en forme de Tipi :
La ruée vers l’or
« Boom-towns » construites en pleine forêt, trottoirs en planches de bois, prospecteurs aux bottes crottées… C’est un véritable Far-West qu’a connu l’Abitibi dès la première découverte d’or, en 1906 à Rouyn-Noranda, près du lac Fortune.
L’attrait des pépites a engendré un mouvement continu d’immigration venu d’un peu partout au Canada et au-delà. Des mineurs de Finlande ou d’Europe de l’Est débarquent ici et y refont leur vie. La région figure, malgré son isolement, parmi les plus cosmopolites du Québec après Montréal.
A Val d’Or, l’église orthodoxe russe et son clocher à bulbes, témoigne de ce passé.
Arrivées au milieu de nulle part, les compagnies doivent créer des villes de toutes pièces pour pouvoir recevoir les mineurs et leurs familles.
A Val d’Or, la cité minière de Bourlamaque est un des rares sites historiques encore habités au Québec.
Dans un décor charmant de maison en rondins de bois particulièrement soignées et à l’ombre du chevalement de la mine Lamaque, on se balade parmi 54 anciennes maisons de mineurs, des ex-magasins, l’ancien hôpital, etc (voir la vidéo). L’ambiance de vie des années 30 est récréée dans une des maisons. Une autre abrite une auberge où on peut séjourner.
A deux pas, la Cité de l’Or, raconte l’aventure minière. Aménagé sur le site de la mine Lamaque, ce centre d’interprétation permet de descendre à 90 mètres sous terre pour vivre l’expérience de la mine.
Une fois la lampe frontale allumée et la combinaison enfilée, l’expérience se révèle particulièrement ludique voire spectaculaire.
Suivons, André, un des guides :
Une terre de pionniers…
Si la ruée vers l’or s’est surtout déroulée dans l’Entre-deux-guerres et même un peu après, l’Abitibi avait auparavant déjà connu des vagues de peuplement à l’occasion de la conquête du Nord au début du XXe siècle.
Jusqu’alors enclavée derrière un écran de rocs et de forêts, la région doit au chemin de fer l’arrivée des premiers colons. Le tracé est terminé dans les années 1910.
Au début du XXe siècle, les hommes viennent essentiellement travailler dans l’industrie forestière. L’agriculture soutient les familles dans ces contrées difficiles.
Le magasin général Dumulon à Rouyn-Noranda évoque cette période des pionniers. La maison en bois rond, au bord de la rivière, remplie de produits et artefacts d’époque montre bien la rudesse de l’existence en Abitibi dans les années 20.
Après 1929, en écho à la Grande Dépression, une autre grande vague de colons vient toucher la région. Cette fois-ci le gouvernement, soutenu par le clergé, met en place de véritables plans de peuplement.
Ce mouvement concomitant à la découverte des minerais précieux achève de façonner l’identité de la région à travers ses colons mi-bûcherons, mi-prospecteurs qui ont le goût de l’aventure et de la conquête.
A Amos, l’imposante cathédrale dressée dès 1922 témoigne de ces années de construction. Derrière son style romano-byzantin, l’édifice en béton armé avait aussi pour vocation d’abriter toute la population en cas de feu de forêt. Mais surtout, la cathédrale d’Amos affirme la place qu’a eu l’Eglise catholique québécoise dans cette colonisation.
…qui mènent une vie à part
Dans une région reculée comme l’Abitibi des années 30 et 40, le mode de vie des habitants est fortement influencé par l’isolement, surtout en milieu rural. Les communautés s’organisent alors autour de rangs. C’est une manière (inspirée de pratiques normandes) de découper le territoire en concessions. Chaque rang est normalement accessible par une route ou un chemin qui porte le numéro du rang.
A Authier, l’école est au rang II. Depuis 1983, elle est réhabilitée en musée et propose un véritable voyage dans le temps.
Comme souvent au Québec, les guides entrent dans la peau de personnages costumés qui rendent la visite plus ludique et vivante.
Ici, on est accueilli sur le perron, au son de la cloche, par la jeune maîtresse comme dans les années 30. La reconstitution de la salle de classe est particulièrement fidèle. Au fil de la visite, on croise aussi le curé. Les visiteurs prennent la place des élèves. On comprend que l’Eglise régnait sur les manuels scolaires et l’éducation de petites têtes de l’Abitibi.
Le Dispensaire de la Garde situé à la Corne, emmène le voyageur au cœur du destin hors du commun des infirmières de colonie. Là encore le décor est soigneusement reconstitué et la guide a revêtu l’uniforme d’infirmière. On fait connaissance avec la garde Gertrude Duchemin, une figure singulière et affranchie pour son époque. Elle portait pantalons, fumait et conduisait sa moto-neige pour aller accoucher les enfants du canton.
Visitons le dispensaire ensemble :
Ces deux musées rendent hommage aux infirmières et institutrices, des figures féminines « ordinaires » mais particulièrement courageuses, vu les conditions de travail. En Abitibi, le mot pionnier se décline aussi au féminin.
Dans un tout autre genre, un site évoque aussi l’isolement de l’Abitibi, c’est Spirit lake.
Un centre d’interprétation à la muséographie ingénieuse rappelle l’existence du camp de détention qui a retenu prisonniers entre 1915 et 1917 des immigrants vivants au Québec mais dont le pays était alors ennemi du Canada pendant la Grande Guerre (Ukrainien, Austro-hongrois, etc). Des familles entières sont restées en pleine forêt hostile et sauvage.
Ecoutez Louise Filion, animatrice au Centre d'interprétation de Spirit Lake, accompagnée de Diane Constantineau, une habitante des environs :
Des ressources naturelles précieuses et convoitées
La terre de l’Abitibi est un livre de géologie à ciel ouvert…
Il y a des millions d’années, une fracture de l’écorce terrestre et des mouvements volcaniques font remonter près de la surface divers métaux précieux emprisonné dans la roche en fusion.
Ce phénomène est particulièrement visible le long de la faille Cadillac, longue de 350 kilomètres, une anomalie géologique à l’origine de la ruée vers l’Or.
Pour observer et comprendre ces phénomènes, une seule adresse: le musée minéralogique de Malartic. Il montre la richesse géologique de la région et explique les différents phénomènes.
Il est situé juste en face de la toute nouvelle mine à ciel ouvert, installée en 2011 au cœur de la ville et exploitée par la compagnie Osisko. C’est la plus grande mine à ciel ouvert du Canada. Un phénomène !
Elle a entraîné de profonds changements en ville, parfois contreversés (voir cette courte vidéo ou la B.A de « Trou story », le documentaire coup de poing du chanteur Richard Desjardins et de Robert Monderie).
Le bois reste une des richesses de l’Abitibi tout comme l’eau.
Le phénomène naturel des eskers vaut à la région d’avoir été distinguée plusieurs fois pour avoir l’eau la plus pure du monde. Rien que ça ! Ces eaux souterraines sont encore un autre trésor abitibien.
La visite du puits municipal d’Amos permet de comprendre les secrets et la formation des eskers, aujourd’hui utilisés pour les besoins en eau potable.
Suivez-nous pendant la visite :
La culture en mouvement
« Ce n’est pas l’Abitibi qui est loin de Montréal mais Montréal qui est loin de l’Abitibi ». Par cette réflexion en forme de pirouette, beaucoup d’Abitibiens expliquent et défendent à quel point la région sait être dynamique et culturellement attractive.
L’animal urbain qui arrive ici est au départ un peu perplexe mais finalement, en regardant de plus près, il découvre une programmation alternative et surtout familiale.
Et c’est là tout l’attrait de la région !
Elle propose des évènements culturels à taille humaine, pointu et bon enfant à la fois.
Fer de lance de ce mouvement, le Festival des Musiques Emergentes, le FME. Depuis bientôt dix ans, il attire pendant une semaine, début septembre, à Rouyn-Noranda, des milliers de spectateurs venus de toute la province du Québec.
Distingué pour son originalité et sa fraîcheur, le FME a désormais gagné ses galons d’évènement incontournable à côté des mastodontes de la culture québécoise comme le Festival de Jazz ou les Francofolies de Montréal.
Dans des lieux décalés (patinoires, petits théâtres de poche) ou en plein air à l’ombre des cheminées de la mine, le FME propose une programmation musicale alternative et curieuse qui va du hip hop à la chanson en passant par le folk ou l’électro.
Des artistes québécois et internationaux comme Patrick Watson, Karkwa ou Malajube s’y sont déjà produits…
L’Abitibi possède bien d’autres festivals : du cinéma international, des guitares du monde, du documenteur, de pyrotechnie et de musique…
Depuis quelques années, un vent nouveau souffle sur le paysage abitibien et beaucoup de jeunes, partis pour leurs études, reviennent pour y écrire une nouvelle page de l’histoire de la région.
Informations pratiques
De Montréal, on peut se rendre en Abitibi :
- En avion, plusieurs fois par jour vers Val d’Or et Rouyn-Noranda. Environ 1h15 de vol (il existe aussi des liaisons avec la ville de Québec)
- En Bus, plusieurs fois par jour. 7 heures de trajet.
- En train, trois fois par semaine. Une vraie expérience (regardez la page spéciale que nous lui avons consacré).
- En voiture, par la « route du Nord », il faut compter au moins 6h30 sans les pauses pour faire les 550 à 630 km. Pensez à faire le plein à Mont-Laurier car ensuite, les pompes sont rares et chères avant d’atteindre les villes abitibiennes.
Nous vous conseillons d’aller en Abitibi en train et de revenir à Montréal en bus ou en avion.
Le site Internet de Tourisme Abitibi-Témiscamingue recense hébergement, restauration, loisirs et attractions.
Pour préparer l’étape montréalaise, regardez le site de Tourisme Québec.
Le guide Ulysse « le Québec » est le plus complet sur l’Abitibi.
Page réalisée avec Céline Develay-Mazurelle
Photos : Céline Develay-Mazurelle / Cyclopes-FME
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- novembre (1)
2 Comments
J'habite Rouyn-Noranda depuis toujours ou presque.J'ai bien apprécié votre article sur l'Abitibi qui est souvent la région snobbée par Montréal et spécialement par la radio-télé publique(Radio-Canada) et certains autres médias.Les Européens par contre aime bien,tout comme votre compatriote écrivain Bernard Clavel qui a écrit de formidables romans inspirés de son séjour dans notre région Far-West comme vous dites.
Super reportage !! je veux y aller !
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