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18 mai 2012 - 14:04
Au pays des géants
Les géants sont de véritables emblèmes pour le Nord de la France. Ces grands personnages de papier et d’osier qui symbolisent leur ville connaissent un véritable regain populaire. Des milliers de personnes les suivent pendant leur procession. Lors de la 5ème ronde européenne de géants portés à Steenvoorde, des géants venus du monde entier ont aussi montré que cette coutume ancienne dépasse largement nos frontières.
Le Nord de la France se revendique comme « terre ou pays des géants ». Derrière l’accroche colorée et insolite qui aide à donner une image sympathique de la région, le phénomène des géants processionnels est très fortement ancré dans la culture et l’identité du Nord.
Traditionnellement construits en bois, osier et papier mâché, ces immenses mannequins peuvent être montés sur des chars, poussés sur roulette ou portés (les plus vivants dans un cortège).
Sur une planète mondialisée où l’économie et les échanges tendent à uniformiser le monde, l’engouement actuel pour les géants ne reflèterait-il pas un besoin croissant d’affirmer ses racines et son identité locale ?
Les Flandres (françaises et belges) vivent avec les géants depuis plus de cinq siècles. Les gens du Nord y sont attachés mais aiment aussi partager leur amour pour ces étranges personnages avec les visiteurs de passage lors de fêtes populaires familiales et bon enfant.
Ecoutez (ou téléchargez) l’émission que nous avons consacré aux géants :
Les géants et les hommes
Les géants et animaux de grandes tailles apparaissent dans les fêtes et processions en Europe au XVème siècle quasiment simultanément au Nord et au Sud du continent.
Ils sont d’abord là, au milieu de la foule, comme les figures d’un catéchisme surdimensionné. Ils illustrent l’Ancien et le Nouveau Testament. On trouvait également des figures imaginaires (monstres, animaux, braves guerriers sauveurs issus des légendes populaires etc…).
Dans le Nord de l’Europe, en Flandres principalement, ils se libèrent de l’emprise de l’Eglise aux XVIIè et XVIIIème siècles. Des figures laïques et des héros tutélaires de cité apparaissent.
Les révolutionnaires français ont détruit de nombreux géants. Mais dès le début du XIXème siècle, la tradition renaît, entièrement laïque et populaire.
Après la Seconde Guerre mondiale, un nouvel élan s’affirme et les géants se multiplient. Ce phénomène s’est même intensifié depuis les années 80 et sa vitalité ne se dément pas.
Les géants naissent de l’imagination des hommes. Artistes et artisans locaux sont à l’origine des effigies en bois, papier mâché et osier. Historiquement plusieurs géants ont été fabriqués par la corporation des manneliers (fabricants de paniers d’osier).
Ensuite, ils sont baptisés (regardez la vidéo amateur sur le baptème du géant Narcisse à Séquedin. cliquez ici).
Ce sont encore les hommes qui les réveillent et les habillent. Des rituels locaux existent autour de ces préludes à la fête.
Pendant la procession, les porteurs sont indispensables pour donner vie au géant et le faire danser (regardez comme ils dansent !). C’est souvent un honneur d’endosser cette charge. Le groupe des porteurs est respecté et souvent envié par la population locale. Ils peuvent porter seuls jusqu’à cent kilos sur leurs épaules !
Des écoles de porteurs se développent dans le Nord pour perpétuer la tradition. Plusieurs géants sont accompagnés par leur propre fanfare.
Enfin, la population parle à ses géants, les marient quelque fois. Une vraie sociabilité existe autour de ces personnages.
Les géants comme les hommes
En se détachant des représentations imposées par l’Eglise, les géants se sont rapprochés des préoccupations des habitants. Ils ont aussi, de plus en plus fortement, symbolisés les racines d’une ville ou d’un quartier. Aux côtés des héros légendaires et fondateurs, le Nord de la France et la Belgique ont vu naître des géants incarnant des figures locales illustrant souvent des métiers disparus.
Une nouvelle vague puise son inspiration dans les gens d’aujourd’hui : ouvrier, instituteur ou motard.
Nés du désir d’un groupe de quartier, d’une corporation ou plus largement d’une ville, ces personnages issus du quotidien intensifient le sentiment d’attachement, déjà très fort, que ces géants suscitent auprès des habitants. Ce sont des miroirs simples et directs de leur identité.
Suivez-nous à Steenvoorde à la rencontre de deux de ses figures du quotidien du Nord :
Depuis une trentaine d’années, la création de géant s’intensifie. Les nouvelles figures honorent parfois des personnalités connues (des cinéastes comme Ingmar Bergman en Suède, des écrivains comme Amélie Nothomb ou Boris Vian à Lille, des peintres comme Magritte à Lessines ou des héros de BD comme Tintin à Wavre).
Les géants sont de sortie
Toute l’année, en Flandres (côté français comme côté belge), les fêtes, carnavals et processions de géants se succèdent au rythme d’un et plus par week-end.
La tradition veut que ces immenses personnages ne sortent qu’à l’occasion des rassemblements processionnels prévus à cet effet.
Dans le Nord –Pas-de-Calais, les carnavals ou fêtes de Douai, Bailleul et Cassel s’imposent comme les évènements les plus traditionnels.
A Douai, on parle des gayants, ce qui veut dire géants en picard.
Le géant Gayant a été créé en 1530. Il est aujourd’hui le chef d’une famille qui compte cinq membres. La légende se dispute l’identité du père : il représenterait Jehan Gelon, seigneur de Cantin qui délivra la ville de Douai assiégée par les Normands vers la fin du IXème siècle ou alors Saint-Maurand apparu en songe afin d’éviter la prise de la ville par les Français au XVe siècle. Sa femme, a été créée en 1531 par la corporation des fruitiers. Leurs enfants, Jacquot, Fillon et Bibin sont nés en 1720. Une coutume veut d’ailleurs que chaque enfant de Douai, dans sa première année, embrasse le plus jeune d’entre eux qui ressemble à un gros poupon joufflu.
A Cassel, depuis le XIXe siècle, au moment du carnaval, on réveille Reuze Papa et son épouse Reuze Maman au son du tambour pour mieux les faire danser dans l’après midi jusqu’à l’épuisement des porteurs.
Les scènes de danse sur la ritournelle entêtante et répétée du Reuze lied sont des moments mémorables de liesse populaire, propre au folklore de la ville.
Les deux fêtes historiques de Cassel et Douai sont classées « patrimoine culturel et immatériel de l’humanité » par l’Unesco depuis 2005.
A Bailleul, à l’occasion de Mardi Gras, c’est Gargantua qui depuis 1853 défile sur son char entouré du curieux docteur Picolissimo et des marmitons. La fête dure 5 jours.
Suivez-nous dans l’antre du géant qui sommeille en attendant sa prochaine sortie. C’est Christophe Fruleux, ancien directeur de l’association philanthropique de Bailleul, organisatrice des festivités qui nous le présente :
Si les géants sortent en général une fois par an au milieu de leurs concitoyens, certaines traditions sont plus draconiennes. En Belgique, la ville de Dendermonde (Termonde) n’organise que tous les 10 ans un "Ommegang". A cette occasion, chaque char représente un épisode de la légende du cheval Bayard, énorme et gigantesque équidé de bois et de papier mâché. En Wallonie, la ville de Ath possède aussi un cheval Bayard. Mais celui-ci sort tous les ans à l’occasion de la "Ducasse", la fête locale annuelle.
La grande ronde européenne de géants portés de Steenvoorde est aussi un événement phare. Il n’a lieu que tous les six ans.
Ce bourg de 4 500 habitants, charmant mais sans fard, est littéralement envahi le temps d’un week-end, par des personnages gigantesques : animaux farfelus, fiers bûcherons ou des reines intrigantes de Catalogne.
A la fois kermesse populaire et parade colorée, cette fête réunit plus de 100 géants venus du monde entier.
En 2012, lors de sa dernière édition, elle a attiré près de 25 000 spectateurs.
A la fin du cortège dominical, tous les géants dansent et se bousculent sur la grande place de Steenvoorde.
Impossible de faire la liste des sorties de tous les géants du Nord. Pas plus que de ceux de Belgique, encore plus nombreux.
Chaque année, l’association La Ronde des Géants, en partenariat avec la Maison des géants d’Ath et le Volkskunde Vlaanderen édite un calendrier détaillé de toutes les sorties en France et en Belgique.
Les géants se racontent
A Ath, en Belgique, la Maison des Géants est le seul musée spécifiquement dédié aux géants du Nord. Depuis 2000, il raconte au moyen d’un parcours multimédia l’histoire et la richesse de cette tradition à l’échelle de l’Europe. C’est ce centre d’interprétation qui est à l’origine du dossier de classement de certaines fêtes et géants processionnels par l’Unesco.
A Anvers, la tête du géant Druon Antigon datant de 1534-35 et celle de la géante Pallas Athena modelée en 1765 sont exposées au M.A.S (Museum Aan de Stroom).
En France, certains géants sont exposés en mairie (comme à Bailleul par exemple).
Sur un rond-point d’Hazebroock ce sont des répliques qui sont visibles.
A Cassel, le musée de Flandre, expose toute l’année les géants originaux de la ville. Mais, pour respecter la tradition (qui commande qu’on les cache quand ils ne sortent pas) on ne les voit qu’en ombres chinoises en dehors de la période de carnaval (du lundi de Pâques au dimanche qui précède la Mardi Gras).
La question d’un musée ou d’un centre d’interprétation français se pose depuis de nombreuses années. Plusieurs villes disent être sur le point de construire prochainement leur musée des géants mais pour l’instant, au Nord de la France rien de nouveau.
Certains s’opposent à ce genre de musée et défendent qu’un géant doit se faire rare, rester caché quand il ne sort pas, prendre vie pendant les processions et surtout qu’il perd sa raison d’être s’il ne danse pas au milieu de la foule pendant la fête locale.
A défaut de visiter des musées, on peut aller voir où naissent ces créatures. Certains ateliers de créateurs de géants accueillent le public sur rendez-vous.
Plonger dans l’univers du créateur est une expérience sensitive et culturelle passionnante. On peut dialoguer avec l’artiste-artisan et surtout de découvrir la sophistication et la richesse des méthodes utilisées pour imaginer, dessiner, modeler et construire un géant.
A Lille, le passionné Dorian Demarcq ouvre son atelier. Bruno Dehondt, créateur de géants et d’automates de Steenvoorde, a imaginé un petit musée décalé et animé par ses gigottos (des automates fabriqués avec des matériaux de récupération).
Les géants voyagent
Véritables emblèmes de leur ville, les géants jouent parfois les ambassadeurs et sillonnent le monde. A Steenvoorde, la ronde européenne des géants portés accueille non seulement des géants locaux mais aussi des géants venus du monde entier. En 2012, c’est la Colombie qui était à l’honneur, un pays qui a aussi une forte tradition de géants.
Alvaro Reyes, directeur culturel du carnaval Negros y Blancos de Pasto, en Colombie, nous l’explique :
En Espagne, la Catalogne compte au moins 3 000 géants. Avec les Flandres, c’est la région où cette tradition est la plus vivante. Contrairement aux géants du Nord, les figures espagnoles sont encore très liées aux fêtes et processions religieuses. Ils racontent aussi l’identité historique du pays comme le souligne, à Barcelone, la catholique Elisenda et Mustafà le musulman.
Tout comme nous, les géants voyagent de plus en plus fréquemment et traversent les océans. Ils leur arrivent de susciter des vocations…
La compagnie des Grandes Personnes d’Aubervilliers a, par exemple, donné l’idée aux habitants du village de Boromo au Burkina Faso d’inventer leurs propres marionnettes géantes.
Le phénomène des géants, qui jusqu’alors n’existait pas ou peu en Scandinavie, commence à émerger également en Suède. Ecoutez Paul qui nous raconte comment il a eu l’idée d’introduire cette tradition dans son pays. Une belle histoire de coup de foudre :
Les nouveaux géants s’apparentent souvent à de gigantesques marionnettes articulées. Cette technique les rend plus spectaculaires encore et donne l’impression que ces géants sont décidément bel et bien vivants !
Le savoir-faire et l’imagination des troupes de théâtre de rues jouent un rôle important dans l’émergence des ces personnages.
Plusieurs géants anciens n’ont, en revanche, pas le droit de quitter leur ville.
Infos pratiques
Pour préparer un séjour dans le Nord autour des géants, jetez un œil au site du Comité Départemental du Tourisme.
Pour en savoir plus sur l’histoire et le patrimoine des géants, regardez le site de l’association La Ronde des Géants.
Page réalisée avec Céline Develay-Mazurelle
Photos : Céline Develay-Mazurelle, Maison des géants de Ath, Office du Tourisme de Douai
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Ici aux Philippines, la fête "Higantes" (Les Géants) de la province Rizal a été montée depuis l'occupation espagnole dans la 18ème siècle. ^__^
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