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04 juill. 2012 - 14:52
Rousseau, de maisons en maisons
A l’occasion du tricentenaire de la naissance du célèbre philosophe des Lumières, parcourons la France et la Suisse en visitant les maisons de ce penseur, musicien et botaniste. Sa vie mouvementée et errante l’a conduit de Genève à Chambéry en passant par Montmorency, Ermenonville…
Chacune des différentes demeures révèlent un aspect de cet autodidacte à la pensée et à l’existence insoumise et complexe.
Jean-Jacques Rousseau se fait d’abord connaître comme musicien.
Il devient ensuite un des plus importants philosophes des Lumières. Agitateur d’idée, c’est avant tout un homme épris de liberté et défendant ardemment son indépendance.
Ses idées, reprises par les révolutionnaires français comme par les hippies n’ont pas fini de faire débat.
Rousseau est aussi un étrange bonhomme qui a du mal avec les codes sociaux et les relations humaines. Vers la fin de sa vie, il va consacrer ses écrits à sa propre personne, faisant de lui le père de l’autobiographie ou de l’autofiction.
Il fait aussi l’éloge de la nature et son image de botaniste amateur fait partie de sa légende. C’est un marcheur solitaire, cultivant l’art de la promenade. Mais il a surtout été un éternel voyageur (libre ou forcé).
Profitons des célébrations du tricentenaire de la naissance de Rousseau pour aller visiter ses différentes maisons. Nous parviendrons peut-être à se faire une image plus juste de cet homme à l’œuvre foisonnante et à la vie passionnante.
Les différentes demeures où il est passé distillent aussi le parfum d’une époque brillante et séduisante, celle des Lumières.
Ecoutez (ou téléchargez) l’émission que nous avons consacré à Rousseau :
Genève, la maison natale
Jean-Jacques Rousseau naît le 28 juin 1712 au 40, Grande-Rue, dans la vieille ville. Sa mère meurt en couche. Il écrira d’ailleurs que « la naissance fût le premier de ses malheurs ». Son père est horloger. La maison natale est aujourd’hui l’Espace Rousseau, un musée et centre d’interprétation. On y suit sa vie mouvementée et complexe grâce à un parcours audio-visuel.
A dix ans, le petit Jean-Jacques quitte Genève pour Nyon. Son père, assez violent est obligé de changer de ville après une altercation. C’est le début d’une longue errance qui se poursuivra toute sa vie. Le père s’installe 1, rue du marché.
Il place Jean-Jacques en pension chez un oncle puis chez le pasteur Lambercier où il continue son enfance à Bossey. Il revient à Genève pour être placé chez un greffier puis comme apprenti graveur. Pendant ses années d’adolescence, il subit une discipline de fer qui lui pèse.
En revenant d’une promenade à l’âge de seize ans, il trouve les portes de Genève fermées.
C’est le déclic. Il tourne le dos à la ville calviniste et part sur les chemins.
Il trouve refuge chez un curé catholique à Confignon, toujours en Suisse.
C’est lui qui va l’adresser à Mme de Warens, à Annecy puis Chambéry.
Les Charmettes, la maison de l’éducation
Un beau matin de 1736, Rousseau arrive avec Madame de Warens dans la maison des Charmettes, une petite ferme située à la sortie de Chambéry. Il a 24 ans.
Les Charmettes, c’est une petite exploitation rurale avec un corps de ferme à un étage, décoré de tomettes et de boiseries. Dehors, un jardin potager, des plantes médicinales et un peu plus loin, des poules et des vaches, un verger, des vignes et un petit bois de châtaigniers. Un décor des plus champêtres qui va d’emblée séduire Rousseau. « J'étais transporté le premier jour que nous y couchâmes », écrit-il. C’est un doux présage pour celui qui allait faire ici son éducation littéraire, musicale et sentimentale.
Madame de Warens, qui a pris en charge le jeune homme, est une femme charmante, douce et éduquée. Il lui a été présenté quelques années plus tôt en 1728 alors que, jeune fugueur arrivant de sa Suisse natale, elle est chargée de le convertir au catholicisme.
Le couple s’installe d’abord dans un appartement du centre ville de Chambéry, sombre et insalubre, que supporte difficilement la santé fragile de Rousseau. Ils décident alors de se mettre au vert et débarquent aux Charmettes où Jean-Jacques poursuit son éducation.
Il fait des promenades dans la nature, étudie l'astronomie, joue aux échecs mais surtout il se penche dans les livres aussi nombreux que variés. C’est ici aussi qu’il apprend tout seul la musique en s’appuyant sur la théorie de celui qui allait plus tard devenir un de ses pires ennemis avec Voltaire : Rameau.
Fort de ces connaissances nouvelles, il va jouer au professeur de musique auprès des jeunes demoiselles de Chambéry. En 1742 Rousseau quitte les Charmettes, trahi par madame de Warens, occupée à d’autres rencontres.
Il lui reste néanmoins fidèle et lui vouera un amour et une tendresse indéfectibles jusqu’à a fin de ses jours.
Il n’oubliera jamais celle qu’il appelle « maman », et elle « petit ».
Visitons les chambres de Rousseau et Mme de Warens avec Mireille Védrine, le conservateur des Charmettes :
Aujourd’hui, on entre presque dans cette maison des champs comme dans un temple dédié à Rousseau. Dès que le philosophe acquiert la notoriété, déjà de son vivant, l’endroit devient une terre de pèlerinage.
Le livre d’or, déjà ouvert au XIXème siècle, en témoigne comme nous le montre Mireille Védrine :
Paris, à la conquête de la gloire
Pour Rousseau, Paris est la ville de la trentaine conquérante.
C’est un inconnu quand il décide de s’y installer en 1742.
Il va y connaître ses premiers succès musicaux. Il fréquente les salons et les philosophes (Diderot particulièrement). Il commence à se faire un nom et c’est à Paris qu’il a la révélation de l’écriture et du débat d’idée.
C’est aussi ici, face aux mondanités et à l’hypocrisie de la belle société qu’il affute son besoin de vérité et d’indépendance. Les premières polémiques et les premières brouilles sont dans l’air.
Il rencontre aussi sa compagne, Thérèse Levasseur, avec qui il aura cinq enfants et qui l’accompagnera jusqu’à ses derniers jours.
Quand Rousseau arrive à Paris, il loge d’abord près de la Sorbonne, rive gauche, à l’hôtel Saint-Quentin.
Mais Rousseau a définitivement la bougeotte. Sa période parisienne, jusqu’en 1756, sera entrecoupée de voyages (en Italie et en Suisse notamment). Il est vraiment difficile à suivre !
Et que dire à Paris… Les domiciles s’enchaînent. Il s’établit malgré tout plutôt près du Palais-Royal et notamment dans la rue qui porte aujourd’hui son nom. Il vit, entre autre, à l’hôtel du Saint-Esprit situé au n°56. Il fréquente l’hôtel Dupin (n°68). De 1746 à 1748, il est secrétaire de Mme Dupin, la femme d’un très riche fermier général. Il est aussi précepteur d’un des enfants du couple.
C’est grâce aux Dupin (dont il restera proche toute sa vie) qu’il fait plusieurs séjours au château de Chenonceau en Touraine. Il y fréquente entre autre le cabinet de physique et de chimie. Pour le tricentenaire de la naissance de Rousseau, le château de Chenonceau organise une exposition sur le philosophe et montre les instruments scientifiques du célèbre cabinet aujourd’hui conservés dans les collections du musée de l’hôtel Goüin de Tours.
A Chenonceau, Rousseau écrit qu’il est heureux et «gras comme un moine » !
Revenons à Paris. Rousseau séjournera aussi rive gauche, rue de Beaune (1744-48) et à l’hôtel de Brancas, rue du Cherche-midi entre 1749 et 1751.
Si vous voulez suivre Rousseau, pas à pas, faire des milliers de kilomètres virtuels et le pister presque au jour le jour, tout au long de sa vie, parcourez ce site très complet qui reprend sa chronologie (on est fatigué pour lui !).
Montmorency, la maison de la maturité
Rousseau n’en peut plus de Paris et de ses détestables mondanités. Il veut de l’air !
C’est à Montmorency qu’il va trouver refuge et écrire trois de ses plus grands livres.
Cette bourgade, à 17km au Nord de Paris, le retiendra de 44 à 50 ans.
En avril 1756, Mme d'Épinay met à sa disposition l'Ermitage, une maisonnette située à l'orée de la forêt de Montmorency. Il s'y installe avec Thérèse Levasseur et la mère de celle-ci.
Il retrouve l’atmosphère de la campagne, le calme et le silence.
Il fait la connaissance de Mme d’Houdetot, une comtesse dont il s’éprend (platoniquement) et qui va largement inspirer le personnage de Julie dans « La Nouvelle Eloïse ».
Porté dans son élan, Rousseau s’attelle à la rédaction de ce qui deviendra un des best-sellers du XVIIIe siècle. Mme d’Epinay prend ombrage de ses penchants pour Mme d’Houdetot et se brouille avec Rousseau. Il quitte l'Ermitage en décembre.
C’est chez le maréchal de Luxembourg que Rousseau trouve refuge, avant de louer, toujours à Montmorency, la maison qui sera sa nouvelle résidence, le Mont-Louis.
Dans cette modeste demeure, il vivra avec Thérèse Levasseur.
Ecoutez le portrait de cette femme discrète par Chantal Maustel, conservateur du Mont-Louis :
Ici, à l’abri des rumeurs, il reçoit ses quelques amis restés proches et les visiteurs attirés par sa célébrité. Il fréquente les gens du village, mais la maladie de la pierre le fragilise toujours plus, le rendant irritable et misanthrope.
C’est entre sa chambre, au 1er étage, et le petit cabinet de travail situé dans le jardin que Rousseau va finir « Julie ou la nouvelle Eloise » et écrire « Emile ou de l’éducation », et « Du contrat social ».
Quand « L’Emile» parait en 1762, le Parlement condamne l’œuvre et son auteur.
Rousseau n’a pas d’autres solutions que la fuite et l’exil.
Le Mont-Louis a été rénové pour le tricentenaire de la naissance de Rousseau.
C’est aujourd’hui à la fois un musée et une maison d’atmosphère. La petitesse des pièces et la sobriété du mobilier d’époque montrent bien la vie modeste de Rousseau.
La partie musée expose, entre autre, le célèbre portrait au pastel de Quentin de la Tour, un herbier, des manuscrits et éditions originales.
Les maisons de l’exil
Rousseau a cinquante ans et rien ne va plus. La condamnation de « L’Emile » et « Du Contrat Social » le pousse sur les routes et en dehors de France.
Il retrouve la Suisse et s’installe à Yverdon chez un ami. Si Paris le poursuit pour les idées religieuses énoncées dans « L’Emile », la grogne monte à Genève, sa ville natale, contre les théories politiques du « Contrat social ». La Suisse n’est donc pas une terre de tout repos. Les débats qu’il a lancés le poursuivent partout.
Nous commençons bien à connaître Rousseau et on sait désormais que ce n’est pas un sédentaire...
En juillet 1762, il s’installe à Môtiers. La maison qu’il a occupé est devenue un musée présentant gravures, portraits et reliques de l’homme célèbre. A l’occasion des commémorations du tricentenaire de la naissance de Rousseau, Môtiers a inauguré une promenade Rousseau qui conduit le visiteur jusqu’à la cascade qu’il a décrite.
Il va ensuite trouver refuge en septembre 1765 sur une île du lac de Bienne, dans le Jura bernois. Sur cette île Saint-Pierre, il loge dans ce qui est aujourd’hui l’hôtel-restaurant île Saint-Pierre (Petersinsel en suisse allemand). Sa chambre avec du mobilier ancien est visible gratuitement. Il profite de ce paysage bucolique et apaisant pour herboriser à son gré. L’île est désormais une réserve naturelle, ce qui plairait beaucoup à Rousseau.
Pendant son exil en Suisse, Jean-Jacques Rousseau fréquente aussi Neuchâtel qui lui consacre une salle à la bibliothèque publique et universitaire. On peut y voir (et y lire) les plus belles pièces du fond de manuscrits : celui des « Rêveries » et celui des « Confessions » mais aussi des cartes à jouer sur lesquelles il notait ses pensées.
De 1766 à mai 1767, il est en Angleterre (vous le suivez toujours ! – et encore, vous n’avez que les grandes lignes de ses itinérances-).
Il va ensuite à Lyon (une ville où il a déjà vécut en 1740 et qui lui consacre une exposition cet été). Ensuite il retrouve la Savoie, Grenoble, Chambéry. Il va aussi se recueillir sur la tombe de Mme de Warens. Après, il se pose un temps à Bourgoin-Jallieu où il franchit une étape dans sa relation avec Thérèse Levasseur comme nous l’explique Chantal Maustel, conservateur de la Maison de Montmorency :
En 1769, il habite à la ferme du Monquin à Maubec, près de Bourgoin-Jallieu. Il y termine « Les confessions ».
C’est l’époque de l’introspection et des souvenirs.
Fin juin 1770, il est de retour à Paris malgré les menaces d’arrestation et retrouve l’hôtel du Saint-Esprit au n°56 de la rue qui porte aujourd’hui son nom.
Rousseau est malade, usé, attaqué. Il manque de sombrer dans la folie. Il vit difficilement.
Ermenonville, la dernière demeure et la légende
Quand Rousseau arrive à Ermenonville, en mai 1778, il ne sait qu’il n’a que six semaines encore à vivre.
C’est le marquis René-Louis de Girardin, un riche aristocrate, animé par l’esprit des Lumières, qui l’invite.
Mr de Girardin voue un culte à Rousseau. Le parc qu’il a réalisé devant son château entre 1766 et 1776 en est le reflet encore aujourd’hui.
C’est en hommage à « la Nouvelle Eloïse » qu’il décide de transformer un terrain marécageux en un des plus beaux jardins à l’anglaise de France. La nature s’y expose en reine et le visiteur est invité à se perdre dans un dédale de chemins ombragés, parsemé de ponts de bois perchés et autres décors imitant l’Antiquité.
En découvrant les lieux, Rousseau entre dans le décor de son œuvre.
Il aurait déclaré à l'épouse de Girardin : « Vous voyez mes larmes, ce sont les seules de joie que j'ai versées depuis bien longtemps, et je sens qu'elles me rappellent à la vie ».
Aujourd’hui, on chemine encore comme au XVIIIème siècle. Le parcours prend dès son début une allure initiatique comme nous le précise Fabrice Boucault, responsable des publics du Parc Jean-Jacques Rousseau :
Le marquis de Girardin place aussi, au fil de la promenade, des citations gravées pour pousser l’esprit à la réflexion.
Au centre du parc, l’île des peupliers sert à célébrer la nature en danse et en musique.
Cette île va devenir la dernière demeure du philosophe qui meurt à Ermenonville le 2 juillet 1778. Ses restes seront transférés au Panthéon à Paris en 1794 et y sont toujours.
Le tombeau est donc devenu un cénotaphe, emblème du parc et lieu de culte.
L’image de cette île aux peupliers devient si forte et populaire qu’elle sera copiée comme nous l’explique Fabrice Boucault :
En marge du parc, dans la forêt, la cabane rustique où se reposait Jean-Jacques Rousseau, aménagé sur une crête sablonneuse appelé « le désert » se visite avec un guide quelques fois dans l’année (se renseigner au Parc Jean-Jacques Rousseau).
A cinq kilomètres du château et du parc d’Ermenonville, l’abbaye de Chaalis est aussi un lieu de mémoire important.
Ce vaste domaine, avec les ruines de la chapelle médiévale et les bâtiments du XVIIIème siècle, est acheté par la collectionneuse Nélie Jacquemard en 1902. Elle lègue l’abbaye à l’Institut qui y expose une partie de la riche collection qu’elle avait constitué avec son mari.
Dans les années vingt, une galerie Jean-Jacques Rousseau est ouverte au public avec la collection du marquis de Girardin et de ses descendants. Ce fond Rousseau a été depuis enrichi et c’est aujourd’hui un des plus riches de France.
Objets d’art (comme le buste de Rousseau par Houdon), manuscrits, éditions originales, objets ayant appartenus au philosophe (sa canne, le fauteuil dans lequel il serait mort…) témoignent de la vie et des différentes facettes de cet homme complexe : nature, débat d’idée, musique, etc.
L’abbaye de Chaalis montre aussi les objets édités après sa mort autour de sa légende.
Avec le Parc Jean-Jacques Rousseau et l’Abbaye de Chaalis, ce très pittoresque coin de l’Oise reste l’endroit le plus complet, le plus intense et le plus beau pour se familiariser avec Jean-Jacques Rousseau (Ermenonville est à 50km de Paris).
Page réalisée avec Stéphanie Labadie.
Photos : Stéphanie Labadie, Ludovic Dunod, Espace Rousseau/Genève, Abbaye de Chaalis/Institut, Parc Jean-Jacques Rousseau/Ermenonville, Suisse Tourisme, Musée Rousseau/Montmorency/Amand Berteigne, David Darrault/CDT Touraine, Assemblée Nationale.
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