Casablanca, fleuron de l’Art déco

Ex-hôtel de ville, 1937, Casablanca, MarocDestination souvent oubliée, la ville blanche mérite un détour. Son riche patrimoine Art déco forme un ensemble urbain homogène et de grande valeur. C’est dans ce décor que la vie trépidante de la plus grande ville du Maroc se montre sans fard, avec ses contrastes. Les bâtiments racontent aussi l’histoire singulière de cette ville, capitale du protectorat français dans la première moitié du XXème siècle. A conseiller aux voyageurs curieux, amoureux des séjours en ville.

 

Immeuble El-Glaoui, 1922-27, Casablanca, Maroc Palais de justice, 1920-23, Casablanca, Maroc Immeuble Art déco, Casablanca, Maroc
 
 
Casablanca vit au présent. La capitale économique, culturelle et médiatique du Maroc fait défiler les journées à un rythme trépidant. Tout va vite. La circulation anarchique donne le ton. Les criants contrastes sociaux s’affichent en pleine rue. Officiellement, Casa aurait un peu plus de quatre millions d’habitants. Officieusement, presque dix millions. Mais la mégapole reste une ville du Sud où la rencontre et l’hospitalité sont des valeurs toujours cultivées. Il y a aussi l’énergie vibrante et mordante des grandes villes qui regardent plus l’avenir que le passé.
 
Plan ancien de CasablancaEt pourtant, c’est bien pour ce passé singulier qu’il faut aussi venir découvrir à Casablanca.
Si la ville naît au Moyen-âge, son histoire est faite de ruptures et de longues périodes de déclin.
Le port s’impose d’abord au XVIIIème siècle comme une escale importante entre l’Europe et l’Afrique noire. Au XIXème siècle, il devient le premier port du pays et l’est toujours.
 
Avec le développement des échanges maritimes, Casablanca trouve son identité : celle du commerce et des affaires. L’argent, l’envie de faire fortune ou de faire fructifier la sienne attirent ici une population cosmopolite constituée de Marocains musulmans de l’intérieur, de Marocains juifs de la côte et d’Européens.
C’est avec la mise en place du protectorat français en 1912 et sous l’impulsion visionnaire du Maréchal Lyautey, résident général, que la ville va réellement sortir de terre en dehors de la petite médina.
 
Casablanca va être pendant la première moitié du XXème siècle un grand laboratoire architectural où les avant-gardes vont s’unir aux motifs marocains ou orientaux. C’est cette page d’histoire, illustrée par ce patrimoine unique, qu’on vient voir aujourd’hui et que des passionnés défendent face à la spéculation immobilière, la dégradation et la pression démographique.
 
Casablanca, Maroc Casablanca, Maroc
 
 
Ecoutez (ou téléchargez) l’émission que nous avons réalisé au moment des Journées du Patrimoine de Casablanca :
 
 
 
 

Mille nuances d’Art déco

Dés les premières années du protectorat français (qu'est-ce qu'un protectorat ? voir ici), Casablanca va devenir un vaste chantier où tous les styles et les courants artistiques modernes vont pouvoir s’exprimer. Telle est l’intention du Maréchal Lyautey qui entend faire de la ville un cas particulier : entre tradition et modernité, l’architecture sera le moyen d’exprimer l’œuvre civilisatrice apportée par les français.
Pour ce faire, il crée le service d’architecture et des plans de la ville, première administration du genre dans l’histoire de l’urbanisme français.
C'est son directeur, l'urbaniste Henri Prost, qui dessine les premières extensions de Casablanca au-delà de la médina entre les années 1917 et 1922.
 
Immeuble Art déco, Casablanca, Maroc Immeuble Art déco, Casablanca, Maroc
 
La forte activité économique et les investisseurs privés vont faire sortir de terre un quartier d’affaire qui va s’ordonner autour de la place des Nations-Unies, ex-place de France. On perce des avenues, le béton défie les lois de la pesanteur et la spéculation immobilière bat son plein. Les entreprises, les banques et les riches particuliers investissent dans le bâtiment, mais pas n’importe quel type d’immeubles.
 
Vitrine d’une certaine opulence, chacun exprime à sa manière ce que l’Europe fait alors de mieux en matière d’avant-garde. L’Art déco s’impose comme le style majeur. Les lignes épurées, la symétrie rigoureuse, les angles droits et la délicatesse sans fioritures dialoguent sur des immeubles de rapport avec les motifs floraux inspirés de l’art nouveau, la rigueur et l’austérité massive du constructivisme ou de l’école du Bauhaus.
 
Détail Art déco, Casablanca, Maroc Détail Art déco, Immeuble El-Glaoui, Casablanca, Maroc
Immeuble du grand bon marché, 1929-32, Casablanca, Maroc Détail Art déco, Casablanca, Maroc
 
L’immeuble El Glaoui (1922-1927), boulevard Mohamed V ou l’immeuble Bendahan, place du 16 novembre illustrent bien la diversité des styles.
Jacqueline Alluchon, architecte et membre de l’association Casamémoire, nous a aussi montré l’immeuble Assayag, rue Hassan-Seghir. Ecoutons-la :
 
 
 
Les immeubles Art déco ne sont pas tous d’égale valeur architecturale mais ils sont si nombreux qu’ils forment un ensemble urbain homogène et impressionnant. Ils montrent à quel point, Casablanca a été une cité nouvelle, moderne, tournée vers l’avenir et construite en quelques décennies seulement.
D’une rue à l’autre, quelques azulejos portugais (carreaux de faïence décorés) et autres zelliges maghrébins amènent un peu de pittoresque.
 
Immeuble Assayag, 1930-32, Casablanca, Maroc Hôtel Excelsior, 1914-16, Casablanca, Maroc
 
Les premiers bâtiments construits dans le quartier flirtent aussi avec un style néo-mauresque comme l’hôtel Excelsior.
Si Casablanca a servi de décor à de nombreux films, c’est aussi une ville où le cinéma est un des loisirs préférés. Même si elles sont souvent décaties, les façades des vieilles salles font rêver. C’est le cas du cinéma Rialto (rue Mohamed-el-qorri). 
 
Dans cette ambiance affairiste où la modernité européenne s’impose, on trouve aussi des havres de paix typiquement marocains. Driss C. Jaydane, romancier casablancais, a orienté notre regard :
 
 
Casablanca, Maroc Immeuble Levy-Bendayan, 1929, Casablanca, Maroc
 

Le mariage des lignes pures et des motifs marocains

Il suffit de se placer au centre de la place Mohamed V et de tourner lentement sur soi-même pour admirer les grands édifices publics de la ville. La place s’appelait d’ailleurs avant place administrative. L’architecture ici est politique.
La Poste, 1918-20, Casablanca, MarocDans l’ensemble, les lignes sont droites, extrêmement sobres, fonctionnelles. Les architectes européens qui sont à l’œuvre (Marius Boyer, Joseph Marrast, Albert Laprade, Adrien Laforgue) sont acquis aux idées avant-gardistes de leur époque.
 
Mais Lyautey veut aussi donner aux bâtiments une allure ou des références marocaines. Il n’est pas question de s’imposer en niant la culture locale. Ne crée-t-il pas le service des arts indigènes pour répertorier et relancer, entre autre, l’artisanat traditionnel ?
C’est ainsi que naît autour de cette place un style néo-marocain.
 
Cercle des Officiers, 1925, Casablanca, MarocL’ancien hôtel de garnison apparaît comme l’épure moderne d’un pavillon traditionnel de palais marocain, couronné de tuiles vertes. C’est le premier bâtiment construit sur cette place en 1916. Il abrite aujourd’hui le consulat de France et la statue équestre du Maréchal Lyautey, jadis au centre de la place, trône dans la cour. Le Cercle des officiers, à deux pas, reprend les mêmes idées.
 
Avec son grand campanile, l’ancien hôtel de ville (aujourd’hui préfecture), a l’allure d’un palais civil comme on en aurait bâti en Ex-hôtel de ville, 1937, Casablanca, MarocFlandres ou en Italie. Mais ici encore la rigueur des lignes trahit son époque. Imaginé à la fin des années vingt, il n’est terminé qu’en 1937. Des arcades de style traditionnel marocain animent la façade tandis que des sols aux motifs géométriques et des tableaux de Jacques Majorelle rappellent les fondamentaux de l’Art déco.
 
Le palais de justice garde, comme les autres bâtiments, sa structure moderne mais ses motifs décoratifs évoquent plus l'Iran ou l’Ouzbékistan que le Maghreb.
Malgré la volonté politique du protectorat d’imposer un art néo-marocain, on sent aussi que les architectes européens avaient une idée plus romantique et pittoresque de l’Orient.
 
Palais de justice, Casablanca, 1920-23, Maroc Palais de justice, Casablanca, 1920-23, Maroc
 
La poste ne vaut pas que pour son architecture néo-marocaine. La grande salle intérieure, sous coupole, montre une répartition innovante de l’espace pour l’époque et a gardé ses décorations d’origine.
 
L’église du Sacré-Cœur, improprement appelée cathédrale, fait la part belle au béton armé. Ses clochers ressemblent à des minarets jumeaux et ses façades jouent avec les claustras de béton et les vitraux colorés. Désaffectée, elle accueille des manifestations culturelles. Si d’aventure, elle est ouverte lors de votre passage, entrez pour admirer ses proportions monumentales (75 m de long et 33 m sous voûte) et le sens de l’espace qui s’en dégage.
 
Interieur de la Poste, Casablanca, Maroc clochers de l'église du Sacré-coeur, 1930-1953, Casablanca, Maroc
 
Derrière l’église du Sacré-cœur vit Mohamed Tangy, un collectionneur passionné par sa ville natale. Dans son appartement, il entasse tout ce qui à trait à Casablanca. Une caverne d’Ali Baba qui participe à sa manière à la préservation du patrimoine.
Il nous a reçu chez lui :
 
 

La médina

Médina, Casablanca, MarocL'ancienne médina de Casablanca, autrefois ceinte de remparts dont il ne subsiste aujourd'hui qu'une partie, borde le littoral sur près d'un kilomètre et jouxte le centre ville.
Détruite en partie lors du tremblement de terre de 1755, la vieille ville musulmane, située à proximité de la côte, renferme les monuments les plus anciens.
 
Le quartier des consulats où s'implantèrent les grandes puissances étrangères, au cœur de la médina, vit affluer dès le XIXe siècle de nombreux Européens attirés par l'essor commercial de la ville.
Les franciscains espagnols y édifièrent l’église Buenaventura, rue de Tanger, en 1891, près de la mosquée Ould el Hamra et de la synagogue Ettedgui.
 
fortificatons de la médina, Casablanca, Maroc Médina, Casablanca, Maroc
 
De la Sqala (bastion fortifié du XVIIIème siècle qui pointe toujours ses vieux canons face à l’océan) à l’ancien quartier juif du Mellah, en passant par l’ancien bidonville des Tnakers, la balade se prolonge jusqu’au cœur commercial de la médina.
Autant de quartiers disparates qui trouvent leur unité dans l’histoire ouvrière et commerçante de ce quartier. Et dans son architecture. Loin des caractéristiques d’une médina traditionnelle, celle de Casablanca fait la part belle au mélange des genres, entre styles arabo-musulman et Art déco. Les maçons italiens venus s’y installer en nombre y ont eux aussi laissé leur empreinte (corniches, balcons, tuiles…).
 
Médina, Casablanca, Maroc Médina, Casablanca, Maroc
Médina, Casablanca, Maroc Médina, Casablanca, Maroc
 
C’est toujours un plaisir de flâner dans ce labyrinthe de ruelles bordées d’échoppes et d’ateliers d'artisans, même si le « made in China » étouffe peu à peu l’artisanat traditionnel. Les bonnes odeurs de fritures de poisson et d’oranges pressées, les rumeurs des postes radio, d’appel à la prière et le va-et-vient incessant des habitants et ses promeneurs font aussi de cette médina un site incontournable.
 
Médina, Casablanca, Maroc Médina, Casablanca, Maroc
 
Au détour d’une rue, la discussion aidant, vous serez peut-être invité à prendre un thé dans une maison de la médina, habitée depuis des générations par la même famille :
 
  
En visite à Casablanca, il faut aussi aller voir quartier des Habous et le comparer avec la vieille médina. La ville ancienne étant déjà bien peuplée, le protectorat français a eu l’idée de créer un quartier marchand, à l’image des médinas anciennes.
Aujourd’hui encore, le quartier avec ses souks et petites ruelles hésite entre modernité et pittoresque marocain. Des centaines de commerçants animent l’endroit. Les voyageurs y retrouvent le charme et les couleurs du Maroc tels qu’il l’imagine.
 

Art déco et art contemporain

Autre témoin de l’histoire de Casablanca, ses abattoirs, situés dans le quartier de Hay Mohammedi, l’ancien quartier industriel et ouvrier du début du XXème siècle. Il reste aujourd’hui encore considéré comme l’un des quartiers populaires de Casablanca. Situés à l’Est de la ville, les anciens abattoirs ont été construits en 1922, à l’époque du protectorat français. D’imposants bâtiments en béton armé typiquement Art déco s’étirent sur six hectares. C’est une véritable ville dans la ville où travaillaient quotidiennement des milliers d’ouvriers.
 
Fermé en 2002, le site des anciens abattoirs a été reconverti en espace culturel à l’initiative de Casamémoire, d’un collectif d’acteurs, artistes, universitaires, sociologues et architectes, en collaboration avec la mairie de Casablanca qui est propriétaire des lieux.
La transformation de cette friche industrielle en lieu culturel était le meilleur moyen d’éviter la destruction de ce trésor d’architecture.
 
Anciens abattoirs, Casablanca, Maroc Anciens abattoirs, Casablanca, Maroc
Anciens abattoirs, Casablanca, Maroc Anciens abattoirs, Casablanca, Maroc
 
La Fabrique Culturelle des Anciens Abattoirs est un immense terrain d’expression, de répétition et de spectacle, à la mesure des énergies qui se fédèrent ici : street-art, danse, mode, design, marionnettes, cinéma, cirque, musique, etc. Elle tente de pourvoir à ses propres besoins, qu’ils soient d’ordre financiers ou administratifs.
 
En montrant la volonté de mêler le patrimoine architectural à l’expression artistique, le Maroc développe avec cette Fabrique Culturelle la première expérience d’envergure de ce genre au dans le pays.
L’association qui gère le site est soucieuse de la diversité des publics. Elle déborde d’ingéniosité pour les attirer par tous les moyens. Ce mélange des classes sociales est pour elle un enjeu fondamental pour l’éducation artistique, sociale et politique des petits comme des grands.
Le site est visitable gratuitement. On peut même y aller en tramway (à 15 mn du centre).
 
Anciens abattoirs, Casablanca, Maroc Anciens abattoirs, Casablanca, Maroc
 
La « villa des Arts de Casablanca » allie aussi Art déco et art contemporain.
Animée par la fondation ONA, dans une belle villa construite en 1934, ce centre culturel propose des expositions temporaires.
 

Informations pratiques

Pour comprendre le patrimoine de Casablanca, regardez le site de l’association Casamémoire. Elle organise des visites guidées pour les groupes. Elle a lancé en 2009 les « Journées du patrimoine » (qui se déroulent en avril) et elle anime l’ «université populaire du patrimoine».
Casamemoire a aussi rédigé un « guide des architectures de XXème siècle de Casablanca » (éditions revue maure et graphely).
 
Pour préparer un séjour à Casablanca, jetez un œil sur le site de l’Office du tourisme et pour un voyage plus large au Maroc sur celui de l’Office National Marocain du Tourisme.
 
Casablanca possède le plus grand aéroport du pays, relié chaque jour au monde par de nombreux vols internationaux (compagnies nationales ou low cost).
 
Cette page a été réalisée en partenariat avec "la saison culturelle France-Maroc", initiée par les Instituts de France au Maroc.
 
Ancien entrepôt Art déco, Casablanca, Maroc
 
Page réalisée en collaboration avec Stéphanie Labadie
Photos : Stéphanie Labadie

 

3 Comments

Très jolies photos. J'ai pu me replonger un instant, dans cette très belle ville qui m'a vu naitre et que je n'ai jamais oubliée....................................

C'est le casa noble. Du moment que ces édifices restent pour témoigner du passé, il faut qu'ils soient à la hauteur de ceux qui les ont conçus

oui magnifiques ces réalisations à Casa

j'ai vécu longtemps dans cette ville!
contente qu'elle soit reconnue comme un trésor de l'Art Déco

merci

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