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17 janv. 2014 - 19:03
Les refuges de montagne: une destination à part entière
Pour s’abriter, les alpinistes ont inventé les refuges. Ces hébergements isolés ont une vie et une atmosphère bien particulières, au seuil du monde sauvage et rude de l’altitude. Depuis le développement de la randonnée, les refuges attirent de nouveaux usagers qui en font un but en soi. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les refuges traditionnels se partagent la montagne avec un nouveau concept unique et audacieux : les refuges d’art. Ou comment allier randonnée, mémoire locale et art contemporain.
Depuis l’explosion de la société de loisirs et du temps libre, en Europe notamment, la montagne se démocratise. Les altitudes jadis réservées aux alpinistes sur le chemin d’une ascension ou à quelques randonneurs de haute volée sont désormais fréquentées par des groupes plus nombreux qui veulent couper avec la vie urbaine et la frénésie du quotidien.
L’idéal de pureté, de solitude et de robinsonnade n’est pas l’apanage de l’île déserte. Destination idéale pour le déjeuner ou pour faire une halte pendant une randonnée de plusieurs jours, le refuge apparaît comme une parenthèse, une expérience, une respiration. C’est un monde à part entière, loin de tout, au contact des origines et du monde sauvage.
Ecoutez (ou téléchargez) l’émission que nous avons réalisée dans les Alpes-de-Haute-Provence autour des refuges :
C’est un peu la porte du massif Alpin depuis la mer Méditerranée. Le département des Alpes-de-Haute-Provence est une frontière entre deux mondes. Des sommets de plus de 3 000 mètres, des vallées encaissées, des prairies et des forêts d’alpage, des plateaux de culture de lavande, des cascades, des lacs et des gorges : c’est un véritable terrain de jeu pour les randonneurs de tous niveaux.
Mais ce qui fait aussi toute la richesse de ce territoire, c’est la Réserve Géologique de Haute-Provence. Une réserve qui intègre 59 communes, et abrite des paysages exceptionnels. C’est même la plus grande d’Europe !
Pour parcourir les 6 000 km de chemins pédestres qu’offre le département, des refuges ont été aménagés depuis longtemps sur les sentiers. Indispensables étapes pour ceux qui rêvent de sommets, d’altitude ou de longs circuits de randonnées.
Sur le chemin, des abris souvent sommaires, accessibles uniquement à pied assurent sécurité et repos aux marcheurs et alpinistes. Les Alpes-de-Haute-Provence comptent à elles seules, sept refuges traditionnels de montagne.
Mais le département a eu aussi l’audace de créer des refuges d’art, un concept unique en Europe, à la croisée des chemins entre l’art contemporain, le territoire et la nature.
Mais le département a eu aussi l’audace de créer des refuges d’art, un concept unique en Europe, à la croisée des chemins entre l’art contemporain, le territoire et la nature.
Les refuges sont nés de la nécessité. Ce sont les alpinistes qui dès le XIXème siècle sont les premiers à bâtir dans les Alpes des cabanes en bois afin de pouvoir atteindre des sommets toujours plus hauts. Cette course à l’altitude encouragera la construction selon Sylvain Jouty, auteur de « Refuges de Montagne » paru aux Editions Hoëbeke, de plus de 1 000 refuges dans les Alpes avant la Grande Guerre, souvent dans des conditions très difficiles.
Aujourd’hui, ce sont principalement les randonneurs qui jouissent de ces abris. Certains considèrent même le refuge comme un but en soi. D’autres comme un moyen d’itinérance. Dans un cas comme dans l’autre, le refuge est avant tout un espace de repos, partagé entre une salle de vie commune et un dortoir collectif. Les refuges permettent ainsi l’accès de la montagne à tous, surtout à ceux qui ne supportent pas les conditions précaires d’une nuit en bivouac.
Au minimum, le randonneur trouvera un toit et des couchettes, pour passer la nuit à l’abri. Au mieux, il profitera d’un refuge gardé où on lui proposera aussi un bon repas, et une douche. Mais au-delà de l’aspect pratique du refuge, le randonneur vient aussi y chercher une véritable ambiance.
Après avoir marché dans la montagne, tous se retrouvent autour d’une grand tablée, près du poêle, à dévorer des plats consistants, et à partager un verre de génépi, le digestif local. Le refuge est avant tout un moment de convivialité, où le contact avec l’autre est facile, et où l’on partage sa passion pour la montagne. Mais pour profiter de cette ambiance chaleureuse, il faut aussi accepter le manque d’intimité et être prêt à partager sa nuit avec des inconnus !
Car le refuge traditionnel est loin d’être un hôtel ! Et le randonneur doit y suivre quelques règles. Réserver à l’avance sa nuit au refuge est plus que recommandé, histoire de ne pas se retrouver à la porte s’il est complet. Les visiteurs sont aussi souvent invités à se déchausser à l’entrée pour ne pas salir l’espace de vie et donner du travail supplémentaire au gardien.
Dans de nombreux refuges, il est bien vu de mettre le couvert, et d’aider à desservir les tables. L’eau et l’électricité, quand elles sont présentes au refuge, sont des ressources limitées, à utiliser avec modération. Enfin, la promiscuité étant de mise, il est plus que recommandé d’être discret après l’extinction des feux. Surtout si le reste de la chambrée a prévu de se lever au petit matin pour partir randonner.
Tous les refuges ne sont pas gardés, mais le gardien, quand il est là, apporte un véritable supplément d’âme au refuge. Les habitués sont formels : ce sont les gardiens qui font la personnalité du refuge. Et ceux qui décident d’exercer la profession souvent saisonnière de gardien de refuge sont avant tout de grands amoureux de la montagne ! A plein temps au refuge à la belle saison, de juin à octobre, ils passent donc plusieurs mois loin de tout, avec pour seule compagnie, les randonneurs, les bergers, et les animaux de la montagne.
Malgré leur isolement, les gardiens ne disent pas souffrir de la solitude, souvent très occupés entre la préparation des repas, le ménage, l’entretien du refuge, le ravitaillement (qui la plupart du temps se fait par hélicoptère) et l’accueil du public. Au-delà de l’accueil et de l’entretien du site, le gardien de refuge joue aussi un rôle déterminant dans la sécurité des randonneurs. En cas de retard inquiétant d’un groupe attendu, c’est lui qui lance l’alerte auprès des secours. Aussi, les conseils qu’il apporte sont toujours précieux aux marcheurs. Il connait bien la montagne et vit avec…
En France, des formations spécifiques de gardien de refuge ont été mises en place en vue de professionnaliser le métier. Car certains refuges accueillent des milliers de skieurs et autres amoureux de la montagne et ressemblent à de véritables petites entreprises. En plus d’apprendre la comptabilité ou le marketing, un gardien de refuge doit aussi connaître et comprendre l’environnement naturel dans lequel il travaille, des itinéraires en passant par l’état de la neige. Un vrai métier, on vous dit !
Dans les Alpes, à l’échelle européenne, on compte plus de 2 000 refuges, et pas un seul ne se ressemble. Certains sont perchés à plus de 4 500 mètres d’altitude, sur des crêtes vertigineuses. D’autres sont au contraire nichés au cœur d’un cirque dans une montagne de pâturage au bord d’un lac.
Chaque refuge a également sa propre architecture. Certains sont d’anciens chalets d’alpage typiques, en bois et pierre de taille. Quand d’autres affichent un visage plus surprenant. En effet, de plus en plus de refuges futuristes apparaissent dans les montagnes. Comme par exemple au célèbre Refuge du Goûter, situé à plus de 3 800 mètres d’altitude, sur le massif du Mont Blanc et ouvert en juin 2013. Ultra moderne, capable de résister à des vents de plus de 240 km/h, ce refuge tout en acier et en forme d’œuf géant, a des faux airs de station scientifique de bout du monde… A l’intérieur, tout fonctionne grâce aux énergies renouvelables, hormis le gaz pour la cuisine.
Souvent spartiates, les refuges offrent pour la plupart à l’intérieur un confort de base avec cheminée et banquettes en bois. Mais cela fait aussi partie du voyage dans nos vies modernes suréquipées ! On se suffit du strict minimum et on fait l’impasse sur sa douche matinale. Une vraie parenthèse donc...
A l’inverse, certains refuges, plus rares, ont été pensés comme des hôtels de luxe… C’est le cas par exemple du Berlinerhütte en Autriche, désormais classé au patrimoine autrichien, qui au moment de sa création au début du XXe siècle, offrait les services d’un bureau postal, d’une cordonnerie mais aussi d’une chambre noire pour les photographes ! De nos jours, on trouve surtout des saunas ou des cours de yoga en guise d’extras dans les refuges de 1e classe, en particulier dans les refuges transalpins.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le Refuge de l’Estrop incarne bien le style traditionnel du refuge de montagne. Situé non loin de la ville de Digne-les-Bains, il a été bâti sur près de sept ans par une équipe de bénévoles passionnés et ressemble à une grande maison de famille, comme on aimerait en avoir… Sa situation, déjà, est vraiment exceptionnelle. Niché sous le sommet de la Tête de l’Estrop, un massif montagneux de près de 3 000 mètres d’altitude, ce chalet de bois et de pierre surplombe un cirque de montagne où pâturent depuis des siècles les troupeaux de brebis.
La grande terrasse du refuge offre une vue imprenable sur les deux versants de la Tête de l’Estrop, minéral d’un côté et végétal de l’autre. Et tout autour, c’est la nature en majesté, particulièrement verdoyante en été, le refuge étant installé aux sources de la rivière La Bléone.
Depuis la terrasse, on perçoit donc le lointain murmure des cascades mais on peut aussi s’amuser à débusquer (de l’œil ;-) marmottes et brebis. Et à la nuit tombée, il fait bon se blottir auprès du poêle pour discuter avec Olivier Raynaud, le gardien des lieux. A l’Estrop, la soupe à l’ortie est la spécialité du refuge et Olivier, le gardien, fait souvent son marché autour de la maison.
On suit Olivier Raynaud, le gardien du refuge qui embarque ses visiteurs du jour pour une cueillette joyeuse:
Depuis 1999, le département des Alpes-de-Haute-Provence a imaginé en partenariat avec le Musée Gassendi et la Réserve géologique de Haute-Provence, un étonnant circuit d’art et de nature sur près de 150 km. Le randonneur peut ainsi visiter 7 refuges d’art, tous réalisés par l’artiste contemporain anglais Andy Goldsworthy. Ce grand nom du Land Art, un genre artistique qui a vu le jour dans les années 60 et qui s’inspire de la nature, imagine des sculptures souvent éphémères à partir de bois, de glace, de pierre ou de feuilles d’arbre.
Dans le département, après avoir commencé à installer à travers la montagne ses « sentinelles », soit des œuvres de pierre en forme d’œuf qui rappellent les balises d’autrefois faites d’empilement de pierres, Andy Goldsworthy a décidé d’aller plus loin. Il a alors choisi d’implanter pour le circuit des refuges d’art ses installations artistiques sur le site d’anciens villages abandonnés suite à l’exode rural. L’artiste et son équipe ont ainsi rebâti sur ces sites d’anciennes fermes, maisons mais aussi églises. Chacune servant d’écrin à une œuvre d’art.
C’est le cas par exemple du Vieil Esclangon, un refuge d’art créé en 2005. Pour y arriver, il faut traverser un village abandonné où quelques ruines, un cimetière et un lavoir témoignent de la vie rurale d’antan. Rénové par Andy Goldsworthy sur les ruines d’une maison abandonnée, le vieil Esclangon n’offre qu’un habitat spartiate en terre battue, sans eau ni électricité. Seule une cheminée vient réchauffer l’atmosphère étrange de ces lieux vides, où l’on peut voir sur un des pans de la maison une œuvre de l’artiste anglais.
Cette empreinte en relief de couleur ocre, ressemble à un gros serpent et semble grimper le long du mur. Réalisée à partir de la terre rouge que l’on trouve sur le chemin du village abandonné et mélangé aux cheveux des habitants du coin récoltés chez les coiffeurs de Digne-les-Bains situé plus bas, cette œuvre se veut un écho à la randonnée et à l’idée du chemin. Celui parcouru notamment par les randonneurs et amateurs d’art pour arriver ici.
On peut dormir au Vieil Esclangon comme dans 2 autres refuges d’art ! Il suffit de réserver à l’avance sur le site internet des Refuges d’art et aller chercher la clé au Musée Gassendi à Digne-les-Bains. C’est gratuit !
Passer la nuit dans un refuge d’art offre aux randonneurs une expérience vraiment étonnante et décalée. L’atmosphère au chevet de ces œuvres minérales ou organiques est unique en son genre. Au Vieil Esclangon, à la lueur du feu de cheminée, auprès de l’œuvre de l’artiste, on ressent bien la mémoire du lieu, les hommes qui l’ont peuplé. Loin des usages des musées qui souvent instaurent une certaine distance avec l’œuvre, là, on dort à côté et on peut même la toucher…
Autre lieu marquant du périple : la ferme Belon. Cette ancienne ferme, située dans un vieux hameau de montagne en pierre sèche, est devenue pendant la Guerre une école des cadres de la Résistance. Capturés sur ces lieux par les Nazis puis ensuite déportés, le lieu raconte aussi comment la montagne a été un lieu stratégique, de clandestinité et de résistance.
Une plaque sur les lieux vient d’ailleurs rappeler ce passé tourmenté. Un passé qui a touché Andy Goldsworthy qui a rebâti l’ensemble de la ferme en 2003 et installé une de ses oeuvres. Aujourd’hui, le refuge comporte une fontaine et de l’électricité grâce à des panneaux solaires mais c’est le seul confort de l’abri. A l’intérieur, on n’y trouve que de simples lits en bois, une cheminée, et une table. Toute l’originalité et la force des lieux tiennent là aussi dans le dialogue entre l’œuvre de Goldsworthy et le lieu qui l’abrite.
Suivez-nous à l’intérieur de la ferme Belon avec Pascal Mazzani, guide de montagne féru de sophrologie et grand amoureux du circuit des refuges d’art :
La boucle de 150 km des refuges d’art peut être parcourue en 10 jours, mais il est aussi possible de ne visiter qu’un seul refuge tout en se faisant accompagner, si besoin, par un guide de moyenne montagne qui pourra enrichir ce parcours artistique de ses connaissances en histoire et géologie locales.
Pour préparer un séjour dans les Alpes de Haute Provence et en savoir plus sur la destination, regardez le site du l'office de tourisme du département
Pour préparer votre circuit sur les refuges d'art, cliquez ici
Pour approfondir vos connaissances en matière de refuges,consultez le livre "Refuges de montagne" de Sylvain Jouty paru aux Editions Hoëbeke
Une page réalisée en collaboration avec Céline Develay-Mazurelle et Alice Milot
Photos : ADT 04 - E. Olive
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