Voyager est un art pluriel. Chacun le conçoit avec ses propres images, ses propres rêves, ses propres attentes. Il y a un monde entre un « voyage organisé » et une longue pérégrination solitaire. Un monde qu’on tente de réunir en proposant à nos auditeurs, lecteurs et internautes de partir avec nous sur des chemins de cultures, de découvertes, de rencontres... Sans à priori, curieux et avides de partage pour mieux connaître la planète. On trouve ici nos émissions, des bonus, nos humeurs, des photos, des films... un simple rendez-vous des voyageurs! NOUS ECRIRE
27 sept. 2012 - 18:34
Tout autour de Prévert
Jacques Prévert reste le poète le plus populaire dans le cœur des Français. Il a aussi accompagné leur vie en étant le scénariste de plusieurs chefs d’œuvre du cinéma. Sa mémoire est vivante dans sa dernière maison, en Normandie, transformée en musée. A Paris, son appartement si singulier est intact et la ville qu’il a tant aimée garde des ambiances qu’il a connues. Suivez-nous dans cette balade à travers la France, tout autour de Prévert.
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Les voyageurs sensibles à l’univers de Jacques Prévert se donnent rendez-vous dans le Cotentin, en Normandie, où il s’est éteint. Sa maison, ouverte au public, est le seul lieu permanent dédié à ce « funambule de la parole ». Tout autour, les paysages et jardins du Cotentin évoquent à leur manière le caractère entier et insoumis du poète.

Le poète entretient une relation particulière avec la capitale, mêlée de tendresse, de nostalgie et de curiosité. Que ce soit à travers ses écrits, ses collages ou avec ses compagnons photographes, Jacques Prévert a rendu d’innombrables hommages à Paris. Il y a aussi passé la plupart de son existence. A flâner. Aimer. Rencontrer. Vivre en somme…
Ecoutez (ou téléchargez) l’émission que nous avons consacré à Jacques Prévert :
La Cité Véron : sa bulle parisienne
Au fond d’une impasse pavée, à l’écart du tumulte de Pigalle, se trouve la seule véritable adresse parisienne de Jacques Prévert adulte. Auparavant réfractaire à la vie sédentaire, Prévert vivait d’hôtels en meublés. Une vie nomade à laquelle il s était habitué dès sa plus tendre enfance.

Désormais, l’appartement de la Cité Véron abrite la succession Fatras, qui gère, protège et entretient la mémoire de l’auteur. Mais le cachet d’antan est conservé, comme coupé du temps et des modes. L’appartement se visite uniquement sur rendez-vous et à de très rares occasions.
Au dernier étage, derrière la porte verte où s’accroche fièrement une grenouille en fonte en guise de poignée, les pièces conservent un décor foisonnant, plein de fantaisie et rempli de mille et une merveilles.
Dans l’entrée, un drôle de bouquet de fleurs tapisse le mur : c’est une série d’éphémérides colorées que Prévert concoctait chaque jour. Autour d’une fleur dessinée au feutre par le facétieux Prévert, on peut y lire ses rendez-vous ou les noms de ses illustres amis.
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Avec ses murs blanchis à la chaux et ses tomettes ocres, l’appartement de la cité Véron ressemble à une villa catalane ou provençale. Il s’ouvre sur l’immense terrasse que Prévert et Vian partageaient au-dessus du Moulin Rouge. Confié à l’architecte Jacques Couëlle, l’aménagement intérieur, joue avec les lignes pures, claires et organiques.
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C’est dans l’atelier (Prévert n’aimait pas le mot « bureau ») que la présence de l’écrivain est la plus perceptible. On se prend à penser qu’il pourrait arriver par la porte du fond, la clope au bec et l’âme gouailleuse.

L’éditeur Jean Paul Liégeois, son ami, nous explique comment il écrivait :

Avec l’appartement de Boris Vian, lui aussi conservé quasiment intact (jetez un œil ici), la cité Véron garde bien vivante la mémoire et l’univers de vie de deux artistes majeurs du XXème siècle.
Rive gauche : sa vie de bohème
Avant de poser ses valises Cité Véron, Jacques Prévert a vécu un peu partout dans la capitale, en particulier rive gauche.
Souvent associé à Saint-Germain-des-Prés, grâce aux chanteurs comme Juliette Gréco ou Mouloudji qui ont interprété ses textes mis en musique, Prévert est une figure du quartier… à sa manière comme l’explique Carole Aurouet, une des biographes de Prévert :
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Déjà, dans l’Entre-deux-guerres, Prévert fréquente Saint-Germain et Montparnasse. Il n’écrit pas encore. Avec une bande d’amis, il vit 54, rue du château.
La maison est partie en poussière avec la reconstruction de la gare Montparnasse mais l’adresse reste attachée au mouvement surréaliste.
Carole Aurouet raconte comment Jacques Prévert s’est retrouvé dans cette mouvance dans les années vingt :
Regardez aussi cette archive INA où Jacques Prévert raconte la vie rue du Château (cliquez ici).
Autour du Luxembourg : son enfance

La famille Prévert, des bourgeois désargentés plutôt fantasques (du côté du papa en tout cas) vit d’hôtels en derniers étages, fuyant les huissiers et courant le sou… Dans cette fratrie de trois garçons, entre Jean l’aîné qui va mourir jeune et Pierre, le cadet inséparable, Jacques fait ses humanités sur le pavé parisien, tout autour du jardin du Luxembourg.

L’immeuble n’a pas beaucoup changé. Visitons-le avec Carole Aurouet :
André le papa, se rêve en comédien de théâtre, tandis que la douce Suzanne partage très tôt son amour des mots et de la lecture avec le petit Jacques qui se révèle un enfant très doué, curieux et loquace comme le raconte Carole Aurouet :
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Au Jardin du Luxembourg, le petit Jacques s’amuse et s’invente un monde où des "wagons dorés" l’emmènent vers des "îles parfumées". Au musée de l’école de la Médecine (musée Dupuytren), il cultive son imaginaire en regardant les curieuses pathologies anatomiques conservées dans le formol.
Jacques Prévert va parfois rejoindre son père à son travail, à l’Office central des pauvres 175 boulevard Saint-Germain. L’adresse a bien changé comme le fait remarquer Carole Aurouet :

Le cinéma : une histoire d’amitié
Entré dans le cinéma par le biais de Pierre Prévert, son petit frère fou de 7e art, et de ses amis du Groupe Octobre qui travaillaient dans le milieu, Prévert, le touche à tout, trouve dans les scénarii et les dialogues, un terrain d’expression idéal pour sa fantaisie et sa curiosité.
Avec Marcel Carné, il forme un duo prolifique (9 films en moins de 15 ans !). Leur compagnonnage va bousculer le cinéma des années 30 et 40. Ils y apportent leur goût pour la poésie, la liberté, les classes populaires, les anti-héros, et l’irrévérence. Ils vont être les piliers d’un courant cinématographique appelé « réalisme poétique ».
Du 24 octobre 2012 au 27 janvier 2013, la Cinémathèque française consacre une importante exposition au chef d’œuvre du duo Carné-Prévert sorti en 1945 : les Enfants du Paradis.

Pour le cinéma aussi, Prévert avait une manière bien personnelle de travailler comme le raconte Laurent Manonni, co-commissaire de l’exposition à la Cinémathèque :
Laurent Manonni explique aussi ce que Prévert a apporté à ce film-monument :
Regardez la bande-annonce des "Enfants du paradis" (cliquez ici) ou un extrait (cliquez là).
Dans les dialogues ciselés de Prévert comme dans ses poèmes les plus courts, on retrouve une musicalité (quasiment du slam dirait-on aujourd’hui) propre à Prévert comme le fait remarquer Jean-Paul Liégeois, un ami devenu éditeur :

C’est aussi au cinéma que Prévert scelle de profondes et durables amitiés comme avec Alexandre Trauner, le fameux décorateur de cinéma ou Joseph Kosma avec qui il signera, notamment, la célèbre chanson « Les feuilles mortes » (à écouter ici).
Ainsi, après l’échec des « Portes de la Nuit », il aurait écrit ces mots à Marcel Carné : « Tu comprends, j’en ai marre de bosser dix mois sur un scénario pour me faire engueuler en dix lignes par un con de critique ». Lapidaire mais sincère…
Saint Paul de Vence, parmi les peintres
C’est à la suite d’un grave accident en 1948 que Jacques Prévert va chercher la quiétude à Saint-Paul-de-Vence, un village proche de Nice qu’il connait depuis 1941.
Là-bas, en repos forcé, il s’adonne avec élan aux collages et cultive son amitié avec Pablo Picasso, André Verdet, une figure locale à la fois peintre, poète et sculpteur mais aussi Paul Roux, le propriétaire de l’hôtel-restaurant « La Colombe d’Or ».

A « La Colombe d’Or », comme un peu partout dans les rues de Saint-Paul-de-Vence, l’art est partout. Les galeries animent les petites rues. La Fondation Maeght et son merveilleux jardin rendent hommage à tous ces grandes figures de l’art moderne. « La Colombe d’or » expose aussi des pages de poésie signées Prévert et deux collages.

C’est à Saint-Paul-de-Vence que Jacques Prévert va rencontrer en 1948 un petit bout de femme dessinatrice, qui travaillait pour Matisse à l’époque, Jacqueline Duhême. Il signera avec elle de nombreux livres pour enfants.
Omonville-la-petite : son refuge

A deux pas de l’océan qui gronde, la tranquilité de ce charmant bourg aux allées bordées d’hortensias bleus n’est finalement perturbée que par le bal des visiteurs venus rendre hommage à Prévert et son œuvre… Après avoir laissé sa voiture devant l’église et le cimetière, on peut aller saluer l’ami Jacques enterré avec Jeanine, son épouse et Minette leur fille, non loin de leur ami Trauner. Prévert a choisi « un gratton », ces pierres contre lesquelles se frottent les animaux dans les champs pour lui servir de stèle…
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Un petit chemin, bercé par le doux bruit d’un ruisseau, mène à la maison Prévert.
Ce qui frappe d’abord, c’est la modestie des lieux pour un homme célébrissime.
A l’intérieur, au rez-de chaussée, les pièces vides abritent des expositions temporaires. Actuellement, ce sont les collages de Prévert qui sont à l’honneur.
Ecoutez Fanny Kempa, responsable de la maison Prévert pour en savoir plus sur cet art surréaliste auquel s’est adonné Prévert pendant vingt ans :
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Le clou de la visite est à l’étage, dans la pièce appelée l’atelier, où rien ne semble avoir bougé. Prévert y passait le plus clair de son temps, dans ce vaste grenier lumineux réaménagé, entre ses livres et ses bibelots. Aujourd’hui, accroché près de la cheminée, un émouvant cliché montre la petite fille de Prévert et son grand-père se faisant un bisou d’eskimo. La pièce a gardé son parfum d’intimité. On se sent bien chez Jacques Prévert. Un sentiment partagé par Francis et Marie-Claude, en visite dans la région :
Lieu de mémoire, maison-musée, cette jolie demeure est à l’image du personnage : discrète et authentique. Dans le luxuriant jardin imaginé par Guillaume Pellerin (auteur des jardins de Vauville - voir plus bas), on s’installe tranquillement pour lire quelques lignes de poésie.
Ici, on se sent à l’abri et on comprend mieux ce qui a pu attirer Jacques Prévert dans la région au point d’y finir ses jours.

Pour les amoureux de nature et de Prévert, la visite se prolonge un peu plus bas, au pied de Port-Racine, célèbre pour être le plus petit port de France.
Encaissés dans une vallée, à l’abri des vents, des jardins en hommage à Jacques Prévert sont ouverts à la visite depuis 1987. Ils sont l’oeuvre de Gérard Fusberti. Ces jardins bohèmes, parsemés de mots de Prévert et aménagés comme des décors de poche au fil de l’eau, sont un écrin parfait pour la rêverie. Gérard Fusberti n’est jamais très loin et raconte lui aussi l’amitié sincère qui l’a lié à Jacques et Jeanine Prévert. Avec pour seule devise : « le jardin reste ouvert à ceux qui l’ont aimé ».
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Le Contentin, son souvenir
Tout autour d’Omonville-la-Petite, que ce soit, les pieds dans l’eau au minuscule et paisible Port-Racine ou le nez au vent, dans les embruns face aux falaises de Landemer, tout dans cette région du Cotentin semble évoquer le souvenir de cet homme impétueux et authentique qu’était Prévert.
Les sentiers douaniers balayés par les vents, les villages aux maisons serrées les unes aux autres, les vallons de prés salés où pâturent moutons et vaches et la « vraie mer » aussi changeante que sa lumière donnent à la région des faux airs d’Irlande. Le Cotentin impose son caractère sauvage et puissant. On oublie vite l’usine de traitement des déchets nucléaires et la centrale atomique…
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Le promeneur, nourri de ses poèmes, retrouve Prévert au pied du phare de Goury, à la pointe de la Hague non loin de l’impitoyable raz du blanchard, un des plus forts courants de marée au monde. La grandeur et la force des éléments nous ramènent alors à notre modeste condition humaine et l’on se surprend à réciter :
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant…
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Au calme, sur le pittoresque port d’Omonville-la-Rogue, le Café du Port, offre de généreux plateaux de fruits de mer et des produits de la pêche locale évidemment. On s'attable face à la mer comme l’ami Jacques qui ne déjeunait qu’avec vue...

Juste à côté, les gourmands et les couples animés par cet amour « beau comme le jour et mauvais comme le temps » peuvent savourer la cuisine locale et raffinée du « Moulin à Vent ».
Enfin sur la côte Ouest de la Hague, à Vauville, la balade sur les pas de Jacques Prévert peut se terminer par un voyage hors du commun, au diapason de l’imaginaire du poète, dans un décor botanique insoupçonné et grandiose. C’est ici, sur plus de quatre hectares, que Guillaume Pellerin, architecte paysagiste, perpétue avec son épouse, le jardin commencé par son père en 1947.
Ce « jardin du voyageur » abrite plus de 1200 espèces de l’hémisphère Sud. A deux pas de la mer rugissante, entourant le château familial, ce jardin emmène le visiteur dans un labyrinthe de couleurs et de décors végétaux en bambous, palmiers et gunneras aux feuilles géantes. Ici, on se croirait dans les jardins de l’Alhambra, plus loin dans une scène d’« Alice au pays des Merveilles », ailleurs dans un collage de Jacques Prévert, justement, qui travaillait à partir d’ouvrages de botanique. Vauville propose un voyage. Surréaliste presque.
Prévert aimait d’ailleurs se perdre dans cet apparent désordre poétique.
Suivez Guillaume Pellerin, l’auteur de cet étonnant jardin :
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Lire, écouter, voir
Petite sélection très subjective parmi les innombrables ouvrages de Jacques Prévert ou consacrés au poète :
- « Paroles ». Le classique des classiques. Editions Folio
- « Grand Bal de printemps ». Un magnifique livre mêlant textes de Prévert et photographies d’Izis. Réédité en 2008 aux Editions du Cherche-Midi.
- « L’opéra de la Lune ». Un livre illustré par Jacqueline Duhême. Editions Gallimard Jeunesse.

- « Paris la belle ». Le catalogue complet et illustré de l’exposition que l’Hôtel de ville de Paris a consacré à Prévert en 2008. Editions Flammarion.
- « Paris est tout petit ». Une collection des textes de Prévert sur Paris rassemblés par Jean- Paul Liégeois. Editions du Cherche Midi.
- "L'amitié selon Prévert" de Carole Aurouet. Un joli petit format autour des éphémérides de Prévert. Editions Textuel.
- "Le cinéma dessiné de Jacques Prévert" de Carole Aurouet. Un bel ouvrage qui présente pour la première fois les fameux plans scénaristiques dessinés par Prévert. Editions Textuel.
- « Inventaire, Jacques Prévert ». 3 CD avec 20 chansons interprétées par Montand, Catherine Sauvage ou Mouloudji ainsi que 38 poèmes dit par les grands interprètes et Prévert lui-même. Editions Jacques Canetti.
- « Le soleil brille-t-il pour tout le monde ? ». Un CD fort et entêtant ou Nevchehirlian dit Prévert (en slameur) pour raviver le feu libertaire et insoumis du célèbre poète.
- « Les enfants du paradis ». DVD collector. Pathé vidéo.


Page réalisée avec Céline Develay-Mazurelle
Photos : Céline Develay-Mazurelle, Arnaud Bouret, Jacques Gomot, Collection privée Jacques Prevert, Succession Fatras, Collection BNF, hôtel de l'Erguillière, Cinémathèque Française
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24/08/2014 - 20:30
L’Ennedi un des joyaux du Nord Tchadien
1 Comments
Merci pour ces photos et cet article... le presbytère n'a décidement rien perdu ce son charme ni le jardin de son éclat... quand je songe que dans ce cabinet de verdure dors un coeur cambriolé...
Bises a l'ange
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